2 Septembre 2024 : « votre présence nous répare ».
Karine Deraedt
Je remercie vivement ADAN de m’avoir permis l’opportunité de cette belle rencontre et tout particulièrement ma « marraine » Valérie Florian pour son accompagnement si bienveillant en terrain inconnu.
Une fois installées dans la petite salle de la bibliothèque du CNE, nous apprenons que 8 personnes se sont inscrites. L’espace disponible me paraît un peu juste, mais le gardien nous informe qu’ils ne seront sans doute pas tous présents.
En effet, 15 minutes plus tard, 5 détenus entrent et s’installent. Ils nous serrent la main, avec un grand sourire avenant. Le premier contact est très aisé et chaleureux. Je ressens immédiatement leur plaisir d’être là. Leurs nombreux remerciements au fil de l’atelier le confirmeront. « Les visites et les activités sont presque inexistantes, alors vraiment merci beaucoup à vous de venir ici, et de nous proposer cet atelier ». Le tour de table permet déjà à tous de beaucoup s’exprimer, mais les échanges seront nombreux tout au long de la rencontre, et les interactions très riches et pertinentes.
Il y a d’abord, le boulanger pâtissier qui aimerait écrire un livre de recettes mais déplore de maigres possibilités de mise en pratique en détention. Pour ce qui est de la lecture ? Impossible avec sa mauvaise vue.
Le plus âgé et le plus discret était auto-entrepreneur dans le bâtiment, et nous parlera pudiquement de ses petits-enfants qui lui manquent, et de l’enfermement qu’il ne supporte plus. Il mise sur les associations et les contacts qu’il a à l’extérieur pour l’aider à concrétiser une sortie rapide grâce à un emploi. Quant à la lecture, ou l’écriture ? Ce n’est pas trop son truc.
Un autre détenu est un jeune homme extrêmement souriant et ouvert. « J’avoue c’est au mitard que je lis le plus, et j’aime bien ça, mais en cellule je m’abrutis de télé, je sais que j’ai tort mais je n’arrive pas à faire autrement. » explique-t-il tout sourire.
Valérie Florian
L’extrait que j’ai choisi de lire « Le fumoir» se déroule en hôpital psychiatrique. Il nous confiera avoir été interné six fois, ce qui permet aux autres détenus d’embrailler sur les similitudes entre prison et internement, et de révéler ainsi qu’il n’est pas le seul, ici, à l’avoir expérimenté. Plus tard, la lecture du slam Le vague à lames des murs de Valérie, très apprécié par les détenus, lui donnera la confiance de nous slamer lui aussi quelques textes personnels dont « La paillasse », un texte très beau, très fort. Il nous explique qu’il rêve, à sa sortie, d’en faire un enregistrement, même à petite échelle, pour ses proches au moins. Puis tombe tout à coup cette confidence, aussi touchante que déroutante : « J’ai braqué pour de l’argent, putain comme je regrette ! Perdre ma liberté, gâcher ma vie ici, pour de l’oseille, quelle connerie ! ».
Le plus bavard d’entre tous, nous parle avec passion de ses pratiques circassiennes (jongleur, fil de fériste, trapéziste…) il est aussi poète, chanteur, compositeur, écrivain…. et, comble de l’ironie, ancien intervenant artistique en prison. « Si à l’époque on m’avait dit qu’un jour je serai de l’autre côté, emprisonné, face à des intervenants… » Son long parcours de détenus lui a permis de participer à de nombreux ateliers artistiques et littéraires. Il nous parle de tous les projets auxquels il a participé, avec passion et fierté.
Le dernier jeune homme a étudié le commerce international après des études de lettres. Il semble très jeune, posé, il écrit, il lit de tout, même s’il a une nette préférence pour les mangas. Lorsque Valérie terminera la lecture de son poème "Fantasque volte-face à face " traitant du thème universel de la solitude, il sera le seul à affirmer « Je ne me sens jamais seul, même ici, jamais », tant il est aimé, soutenu par sa famille. Il enchaine en précisant qu’il vient d’un milieu social protégé, avec des parents aimants, des études prometteuses, et que de mauvaises fréquentations peuvent suffire à tout faire basculer ».
Et puis, il y a Valérie et moi… Heureuses de participer à un atelier qui aura été préféré à la promenade quotidienne. Emues devant autant d’écoute, de pertinence et de reconnaissance exprimées par ceux qui nous quittent en nous offrant ces mots
« votre présence nous répare ».
15 Juillet 2024 : " en lien avec la déconnexion à laquelle les détenus sont confrontés."
Sylvie Bocquet
Lundi 15 juillet, nous nous rendons Sylvie et moi dans la petite bibliothèque du CNE. Les détenus ont visiblement bénéficié d’activités d’arts plastiques : des créations en papier et en carton occupent les trois dimensions de la pièce.
Les détenus prennent place, ils seront huit à suivre notre atelier. Il y a les lecteurs aguerris, l’un aime lire Suskind, dont son œuvre « le Parfum » qui fait appel à la sensorialité. Il y a ceux qui préfèrent les textes courts, ça tombe bien nous sommes venues avec des nouvelles ! Enfin, il y a ceux qui manquent de confiance : l’un aimerait écrire, mais se sent freiné par des compétences orthographiques mal assurées. Sylvie le rassure, le métier de correcteur est utile à tout auteur.
Comme à notre habitude, nous offrons de choisir quelques cartes postales offertes par les adhérents de l’ADAN. Comme sur une précédente session, des supports qui lui évoquent son enfance sont sélectionnés par un prisonnier ; une peinture emporte l’assentiment d’un autre ; un troisième est à la recherche de jolies enveloppes.
Sylvie présente son livre : « Le secret de Grand-Pierre », où il est question d’un aïeul qui refuse de faire un pas vers les nouvelles technologies. Un détenu fait le lien avec la déconnexion à laquelle les détenus sont confrontés. Lors d’une permission il est allé manger dans un fast food ; quel étonnement pour lui de constater que la commande devait être passée sur de grandes bornes numériques.
Marie France Delporte
Sylvie explique le travail d’auteur : il faut suffisamment de contenu pour écrire un livre. Une seule idée ne suffit pas. Les détenus sont surpris d’apprendre qu’elle a écrit cinq ouvrages. Certains s’étonnent par ailleurs des 200 pages du livre qui leur est présenté ; ils envisagent l’ouvrage comme une lecture très longue.
Je présente également mon roman : « La Face cachée d’un univers ». J’explique l’importance du choix du titre, et celle que j’attribue au démarrage de l’histoire avec une phrase d’accroche qui pose immédiatement le contexte. Je décode le choix des noms des personnages « Nova » pour une grand-mère et « Nébulline » pour sa petite fille : en astronomie, l’explosion des supernova donne naissance à des nébuleuses. Je détaille mon projet : vulgariser le travail des chercheurs en cosmologie et imaginer une histoire qui serve cette thématique scientifique. Je parle en conséquence de mon implication dans l’invention d’un récit qui permettrait au lecteur de trouver des réponses aux grandes questions de la science dans l’histoire des personnages en définitive, pour ne pas travestir la réalité scientifique. Les détenus veulent absolument lire nos livres, et demandent une dédicace qui sera effectuée à l’attention du CNE.
Nous poursuivons avec des lectures de nouvelles sélectionnées. Les personnages principaux ne sont pas des humains. Les histoires disséminent des indices sur un mystérieux sujet auquel il arrive maintes péripéties. Les détenus sont attentifs. Malgré les explications initiales, le groupe reste dans l’idée que le premier texte parle d’une fillette, une fois les indices décortiqués, ils comprendront la mécanique et seront plus perspicaces pour analyser le second texte. L’un d’eux trouvera précisément que les péripéties sont celles vécues par l’aiguille d’une horloge.
Enfin, nous concluons avec une dernière nouvelle pour laquelle la lecture se fait par bribes, nous analysons le texte avec eux et ils s’amusent de comprendre les jeux de mots et les figures de style. Nous terminons l’atelier avec huit personnes parées pour se confronter à l’art de la compréhension de texte.
8 Avril 2024 : " s’il n’y avait pas l’enceinte de la prison, on se croirait dans un bistrot littéraire"
Emilie Krengel
Une nouvelle expérience riche en émotions et en apprentissages ! Je retrouve mon binôme, Quentin, avec qui j’ai pu échanger quelques jours auparavant. Son univers atypique empreint de magie lui a permis d’élaborer un exercice d’écriture qui complète l’aspect thérapeutique que j’ai l’habitude de proposer. J’ai hâte de voir ce que cela suscitera chez les participants !
Au terme du cheminement ponctué de cliquetis de serrures et de portes fermées, nous voici arrivés. C’est sereinement que je franchis le seuil de cette bibliothèque qui, au fil des interventions, est devenue quelque peu familière. Etrangement, la pièce, encore vide, me semble à chaque fois plus étroite et plus sombre. Nous décidons de bouger les tables pour tenter de donner une ambiance plus accueillante au lieu. Les participants finissent par arriver et ils ont l’air inspirés par les livres. Rapidement, nous échangeons sur la littérature, la philosophie, la poésie, le théâtre. Je souris intérieurement car tout prend rapidement sens. La culture, la curiosité, l’envie d’apprendre et de s’enrichir des différences des uns et des autres donnent à ce moment une saveur particulière. Quentin nous parle des créatures fantastiques qui peuplent ses romans et je pense que chaque enfant tapi en nous se délecte en imaginant les dragons surplomber le ciel. Pour ma part, j’ai apporté mon troisième roman, une comédie romantique "feelgood". Ils ne sont clairement pas les cibles de cet ouvrage et je n’assume pas ce choix mais mes deux autres romans sont déjà présents sur les petites étagères. Pourtant, les participants le feuillètent en riant et ça me remplit de joie et de gratitude.
Le second temps est dédié à l’écriture. Certains nous partagent leurs écrits, d’autres préfèrent les garder et poursuivre une fois seuls. Vient le moment de repartir. On se dit au revoir en se souhaitant mutuellement le meilleur pour l’avenir.
Des inconnus réunis qui, l’espace de quelques heures ont convergés ensemble dans un même sens, avec une même intention, celle de franchir les barrières invisibles et visibles.
Quentin Mondiveci
Je suis intervenu hier avec Emilie pour le CNE de Sequedin. Première fois en milieu carcéral. Si ce n’est toutes les portes fermées que nous ouvrons par des boutons d’appel en attente d’une réponse, les déambulations dans l’établissement me font penser aux labyrinthes de certains milieux hospitaliers. Aucune appréhension, puisqu’aucune attente de cette rencontre.
Après un petit retard, dû à un manque de personnel, nous confie notre guide, nous arrivons dans la modeste bibliothèque, qui peut contenir, tout au plus, dix personnes. Un peu petite, tout de même, pensé-je sur le moment. Nous avons le temps de regarder ce qui s’y trouve. Cela part dans tous les sens : histoire, religion, art, romans policiers… Enfin les détenus arrivent, plutôt âgés, je les imaginais plus jeunes. Ils sont sept. A ma grande surprise, dès que nous les interrogeons sur leurs lectures, ce sont soit des livres pratiques, soit des livres philosophiques. En fait aucun roman pour « s’évader ». Ils abordent aussi des ateliers de poésie, de théâtre et de lecture auxquelsils participent. Emilie va les éveiller par ses romans modernes et son envie de partager sa culture. Mon domaine qui est l’imagination pure va plus que les intriguer. A la réflexion d’un des leurs « Et vous arrivez à dormir. », je souris. L’imagination me fait faire de beaux-rêves, elle n’a jamais provoqué d’insomnie. Je me pose cette question : pourquoi ces hommessont-ils devant nous ? Nous avons des discussions enrichissantes, ils ont un parcours littéraire indéniable, s’il n’y avait pas l’enceinte de la prison, on se croirait dans un bistrot littéraire. Puis vient l’exercice. Nous leur proposons deux thèmes, l’écriture thérapeutique chère à Emilie, et l’imagination, au choix. Ils n’y participent pas tous. Les moinsimpudiques nousliront leurs quelqueslignes, trèstouchantes. Les stylos de couleur emmenés par Emilie feront sensation. Ils repartiront avec, souvenirs d’une rencontre trop brève.
Tout à une fin. Nous nous retrouvons en attente dans un escalier. « Bloqué dans l’escalier » est le titre qui me vient sur l’instant. Puis la rencontre d’un autre intervenant formateur au sein de la prison. Pour finir, le moment où nous récupérons cette petite carte qui définit notre identité. Une expérience hors du temps, des chemins battus, que je compte bien réitérer. Un monde étrange qui imprégnera peut-être un jour mon imagination pour de nouveaux écrits