L'ADAN reprend ses animations et entre à l'Etablissement pénitentiaire pour mineurs de Quiévrechain

Les EPM - Etablissements Pénitentiaires pour Mineurs, un concept d’incarcération pour les mineurs apparu au début des années 2000. 

En 2002, la loi d’orientation et de programmation pour la justice (LOPJ) est promulguée. Elle prévoit de renforcer le dispositif de prise en charge des mineurs délinquants. Ainsi, pour la première fois en France, la construction de sept établissements pénitentiaires entièrement dédiés et adaptés à la prise en charge des mineurs est décidée, assortie d’un concept novateur. 

Si l’établissement pénitentiaire intègre des exigences de sécurité carcérale, il place l’éducation au cœur de la prise en charge de ces jeunes détenus, avec l’objectif de préparer leur sortie. Il répond aux principes fondamentaux des règles pénitentiaires européennes (RPE) adoptées par le Conseil de l’Europe en 2006 et notamment celle exigeant la séparation totale entre adolescents et adultes incarcérés. En 2007, quatre établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) pouvant accueillir chacun 60 jeunes détenus âgés de 13 à 18 ans ont été livrés à proximité de Valenciennes, Lyon, Toulouse et Marseille. Trois autres sites ont ouvert courant 2008.

 

Le service éducatif de l’établissement pour mineurs de Quiévrechain inscrit sa démarche dans ce mouvement de démocratisation de l’accès à la culture, facteur puissant d’insertion social, de valorisation de l’estime de soi, en souscrivant à tous les dispositifs et appels à projet. Pour ce faire, il a établi et fait vivre une dynamique de collaboration et de partenariat avec des opérateurs du secteur associatif.

Forte d'un expérience de 15 ans d'interventions ininterrompue en milieu pénitentiaire et fidéle à sa vocation d'origine et aux engagements de son président fondateur, Jean Denis Clabaut, l'ADAN reprend ses interventions en signant une convention avec l'EPM de Quivrechain pour une première période rénouvelable du 08 juillet 2025 au 31 décembre 2025. L'ADAN organisera 9 ateliers et une journée du livre au sein du SE-EPM de Quiévrechain.

01/08/2025 - Guillaume Le Chevalier - « C’est quoi, une île ? »

Guillaume le chevalier reduit

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Des prisons, nous avons en tête une image froide et austère. La vue en est écorchée par les barbelés s’accrochant telles des ronces aux grilles ou murs encadrant la bâtisse.

Derrière cette réalité, l’EPM affiche un autre visage, plus avenant, à mon arrivée. L’accueil s’est fait par le souriant directeur d’établissement, qui m’avait déjà contacté par téléphone le matin même. Tout en me guidant vers les bureaux de l’équipe éducative, monsieur m’explique les grandes lignes du fonctionnement de l’EPM, et les fonctions des différents bâtiments.

Une éducatrice m’amène vers la salle de culte, qui sert également de local d’activités.

Après quelques minutes de discussion, trois jeunes arrivent, accompagnés par un surveillant. J’apprends que le 4e garçon inscrit à l’atelier ne viendra pas. Nous attendons une jeune fille.

Les trois garçons me saluent poliment, me serrent la main. Ils semblent bien s’entendre, et le contact apparaît chaleureux et respectueux entre l’éducatrice et les adolescents, ce qui contribue à l’apaisement d’une légère appréhension de ma part.

Ma présence les intrigue, ils me questionnent.

Nous faisons les présentations. En attendant la jeune fille, je les questionne sur leur emploi du temps, les ateliers, la façon dont ils occupent leur temps.

Nous décidons d’engager l’atelier. Je me présente rapidement, et leur explique que j’ai dû changer le contenu de mon activité récemment, n’ayant pu préparer l’activité photos-poèmes comme je l’aurais voulu. Les jeunes apparaissent rassurés, soulagés de ne pas être dans l’obligation d’écrire des poèmes. J’annonce donc les grandes lignes de l’activité que nous entamons, sur le thème du portrait, sans trop en dire.

Je débute sur la lecture de l’un de mes premiers textes édités : « C’était un matin », courte nouvelle qui s’avère être une introspection imagée de moi-même. Les jeunes écoutent, du début à la fin, attentivement, ce que je ne manque pas de leur remonter par la suite.

L’adolescente arrive pendant la lecture, s’installe sans déranger.

Une discussion s’engage sur leur compréhension du texte, après la lecture. Chacun s’exprime sur son ressenti : exprimer des sensations, ou des émotions, les différences entre ces deux items ; la difficulté de faire une introspection ; le rêve, la réalité, le rêve est-il l’expression d’une réalité ?

La jeune fille paraît plus en retrait, cependant chacun y va de sa participation, y compris l’éducatrice.

L’un d’eux remarque une « mallette en bois » que j’ai posée sur une table derrière moi, volontairement sans en expliquer le contenu. Je lui réponds que nous l’ouvrirons si nous avons assez de temps en fin de séance.

Nous passons à la deuxième étape : « l’île-portrait ». Je leur distribue quelques feuilles blanches, quelques crayons gris ou de couleurs.

Il s’agit, étape par étape, de se représenter telle une île :

  • Dessiner le contour d’une île.
  • Se représenter par une croix ou autre symbole sur l’île
  • S’il y avait un seul objet à emmener sur l’île, quel serait-il ?
  • Y a-t-il une grotte ? Où se situe-t-elle ? Est-elle profonde ? Peut-on y pénétrer sans danger ?
  • Y a-t-il une montagne ? Est-elle franchissable ?
  • Peut-on accéder à l’île ? Qui peut y entrer ? Comment ? Peut-on en ressortir ?
  • Et toi, peux-tu quitter ton île ? Peux-tu y revenir ?
  • Y a-t-il un jardin secret ? A-t-on le droit de savoir ce que tu y fais ? Qui a le droit de le savoir ?

Chacun y participe, à sa manière, y compris l’éducatrice. Les discussions entre eux, avec leur accompagnante, et moi-même, sont permanentes. Aucun d’entre eux, même assis chacun à sa table, ne peut se poser, rester concentré sur son ouvrage. Cependant, les échanges restent centrés sur l’activité et son contenu. L’exercice pour moi consiste à jouer le rôle du miroir reflétant leurs paroles et leurs réflexions, afin de retirer de cet exercice une meilleure connaissance d’eux-mêmes.

La jeune fille, au départ un peu à l’écart de ses discussions, d’abord observatrice, finit par s’ouvrir peu à peu. Celle-ci se montrait bloquée au démarrage : « C’est quoi, une île ? » Cependant, me penchant à chaque étape sur ce qu’elle faisait, elle est allée au bout.

À la fin de l’exercice, chacun a montré et expliqué son île. Chacun a été applaudi.

L’un des jeunes montrait le besoin d’effectuer une pause : besoin de bouger, se déplacer. Il a cependant su attendre la fin de cette étape.

Pause de quelques minutes, qui a constitué en une discussion, les jeunes ne pouvant quitter seuls la pièce.

Troisième étape : nous passons cette fois à l’écriture en tant que telle :

Le jeune doit imaginer une histoire courte, dont il est le personnage principal. L’histoire doit passer sur son île. C’est une histoire au cours de laquelle il doit : marcher, courir, puis s’arrêter net. Nous devons comprendre ce qui le fait marcher, le fait courir, le fait s’arrêter.

L’exercice est difficile, notamment la compréhension des consignes. Cependant, il provoque une discussion tout aussi intéressante : qu’est-ce qui nous fait courir ? La peur ? La peur peut nous figer aussi …

Pour deux d’entre eux, dont la jeune fille, il est nécessaire de passer d’abord par le dessin. Je leur demande de dessiner à la façon d’une bande dessinée les différentes étapes de leur histoire, et de les décrire par des mots en-dessous de chaque image.

Je leur précise à plusieurs reprises que je ne regarde pas les erreurs d’orthographe ou de grammaire.

En cours de séance, le jeune qui manifestait un besoin de pause a cependant remarqué les livres que j’avais innocemment posés sur une table. Il me questionne à leur sujet, notamment vis-à-vis d’un recueil de poèmes d’auteurs divers, et me demande s’il me serait possible de leur en lire un. Je réponds par l’affirmative évidemment, très agréablement surpris de cette demande.

Arrive la fin de séance :

  • Nous ouvrons ensemble la « mallette en bois » qui avait attisé leur curiosité. Il s’agit d’un butaï, j’entame la lecture d’un kamishibaï.
  • Je poursuis par la lecture d’un poème, suite à la demande de l’un d’eux.

Je leur demande leur propre bilan de cette séance. A priori, plutôt positif. L’un d’eux a trouvé le début de séance un peu long, mais après « ça a été mieux ».

En ce qui me concerne, la séance fut très agréable, pleine d’échanges, comme je m’y attendais. Chacun a participé à sa façon, dans le respect mutuel. Je me suis senti accueilli par les jeunes autant que par l’équipe. J’espère qu’ils en retireront quelque chose de constructif, pour eux-mêmes.

08/07/2025 – Valérie Florian pionnière à l’EPM de Quiévrechain - 1ere Intervention

Contexte et organisation

  • Arrivée à 13h30 : parking accessible, casier sécurisé pour sacs et portables.
  • Accueil par le coordinateur du Pôle Activités, et installation dans une salle plus spacieuse que prévue.
  • Matériel apporté : stylos, feutres, feuilles blanches/exercices, livre de l’auteure.

Déroulement de l’atelier (14h15–16h00)

  • Thème : exploration des sept émotions principales (joie, tristesse, colère, dégoût, mépris, peur, surprise).
  • Introduction : présentation d’ADAN, tour de table (prénom, âge, état d’esprit) instauré en mode tutoiement.
  • Exercice marquant : portrait chinois de la colère mené par un adolescent se désignant « innocent », révélateur de son sentiment.

Points positifs

  • Accueil convivial et soutien logistique du personnel pénitentiaire.
  • Climat de confiance instauré malgré l’appréhension initiale de l’intervenante.
  • Pertinence de l’outil des émotions pour engager au moins un participant clé.Difficultés rencontrées
  • Confusion des jeunes : ils s’attendaient à un atelier « jeux de société », d’où déception collective.
  • Présence d’un « leader » perturbateur, défiant l’autorité et démotivant le groupe.
  • Distraction générale : usage d’un jeu de cartes par certains, peu d’intérêt partagé pour l’atelier.

 

Enseignements et ajustements à prévoir

  • Clarifier dès l’invitation le contenu réel de l’atelier pour éviter les attentes divergentes.
  • Adapter les exercices pour les rendre plus immédiatement ludiques et participatifs.
  • Prévoir des stratégies d’animation plus fermes face aux comportements réfractaires, tout en gardant de la souplesse.

Déclencheur émotionnel

  • Un adolescent se présente sous le nom d’« innocent », mot qui résonne comme une explosion au sein du groupe.
  • Portrait chinois de la colère :
    • Couleurs : noir, rouge
    • Film : La Haine
    • Végétal : plante à épines
    • Animal : lion
    • Aliment : piment
    • Odeur : sueur
    • Chanson : « Sale histoire » de Leto

Ce fil conducteur révèle intensément son sentiment de colère et oriente l’atelier vers la reconnaissance émotionnelle.

Gestion du groupe

  • Posture : souple mais ferme pour ne pas être débordée par le leader provocateur.
  • Distractions : un participant sort un jeu de cartes, le groupe peine à se concentrer.
  • “Deal” proposé : remplir 8 cases de la fiche d’exercices pour clore l’atelier – deux acceptent, un reste passif, un continue à provoquer.

 

Valerie florian zoom 1

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Réorientation ludique

  • Intervention d’un jeu de “8 américain” pour canaliser l’énergie ; agitation forte, demandes répétées de calme.
  • Nécessité d’appeler un gardien : quatre jeunes évacués 15 minutes avant la fin pour prévenir tout débordement.

Poursuite individuelle

  • L’éducatrice et l’intervenante restent avec l’adolescente motivée, qui achève presque tous les exercices.
  • Dernier exercice (rédaction de sept phrases) non traité par manque de temps.

Bilan

  • En individuel, l’atelier aurait été plus personnalisé et efficace.
  • Le collectif a favorisé rébellion et manque d’investissement, malgré l’absence de violence.
  • Difficulté principale : manque d’intérêt et cohésion du groupe, plus qu’une question de contenu.

 

Synthèse des apprentissages et perspectives d’amélioration

1. Points appris grâce aux interrogations

  • Chambre individuelle : intimité et hygiène, mais parfois solitude et souhait de communiquer
  • Règles du « 8 américain » en théorie et connaissance du gagnant
  • La jeune femme n’ayant pas participé est restée focalisée sur les exercices 
  • Métiers envisagés : ambulancier, plombier, électricien, maçon, coiffeuse
  • Idée d’inventer un jeu de société pour mineurs en détention
  • Connexions fortes : un détenu « innocent » exorcise un point crucial, et lien authentique avec la détenue
  • 2. Axes d’amélioration pour les futurs ateliers
  • Réserver systématiquement la même salle
  • Préparation en amont
    • Appels entre le coordinateur du Pôle Activités et l’intervenant pour aligner parcours et objectifs

  • Sélection des participants
    • Profil défini selon intérêt aux thèmes
    • Limitation à 4 jeunes + 1 éducateur·trice
    • Deux tranches d’âge ciblées (13–14 ans / 15–17 ans)

Logistique

  • Garantir la présence d’au moins un·e détenue
    • Vérifier la capacité de concentration pour 2 h
    • Afficher le titre de l’atelier sur la porte
  • Méthodologie
    • Suivre la fiche atelier tout en prévoyant un plan B si certaines décrochent

3. Ressource laissée

  • Livre « Dessine-moi un z’anti-héros », Tome 2 : contes illustrés interactifs sur la différence, le respect, le harcèlement, les réseaux sociaux et l’endoctrinement.