2022

Fevrier 2022

Présentation des ouvrages :

- La Face cachée d’un univers, par Marie-France DELPORTE

- La Plume et le masque, recueil de textes réalisé dans le cadre d’un projet piloté par l’ADAN sur la thématique du COVID

(Le livre ne sera pas laissé à la bibliothèque du centre national d’évaluation (CNE) ; il aura permis de présenter le travail de l’association.)

 

Après quelques déboires avec la machine de sécurité dans le hall d'entrée, le surveillant Mickaël vient nous chercher pour nous introduire au cœur de la prison. Nous empruntons un dédale de longs couloirs puis traversons le quartier des détenus ultra violents. Notre accompagnateur en profite pour plaisanter dans le but de nous détendre. On va vous remettre des protège-dents et des gants de boxe!

L’atelier regroupe 5 détenus. L’un arrive avec un livre déjà largement entamé. C’est un fervent régionaliste. Il a trouvé son bonheur dans la lecture des portraits dressés par Hervé LEROY, membre de l’association qui avait présenté son ouvrage lors d’une précédente intervention (Ces gens du Nord qui ont fait l’histoire).

J'expose ma passion pour l'astronomie ; je présente mon livre ; j'en lis quelques lignes. Brigitte évoque avec les détenus le richesse de la littérature à travers un jeu de questions et de réflexions.

Si face à nous les participants semblent timorés au début, ils se détendent au fur à mesure des échanges. L’un, qui se présente comme un auteur, ne veut pourtant pas écrire ; amusé par le sujet, il finit par voler la feuille de son binôme et par ne plus vouloir la lui rendre. Nous proposons un nouveau support à l’acolyte délesté, il nous répond avec malice avoir tout dans sa tête.

L’exercice d’écriture sur la thématique des couleurs imaginé par Brigitte, nous envoie sur des pelouses vertes qu’il faut tondre, des jardins aux fleurs rouges, comme les lèvres d’une bien aimée ou encore sur les traces des casques bleus au Moyen-Orient. En définitive l’évocation du jaune permettra à nouveau de soulever le paradoxe de la poule et de l’œuf, qui trouve dans le petit espace de la bibliothèque une nouvelle version ; un détenu nous l’affirme : « C’est le poussin qui a pondu l’œuf ».

Les deux heures sont passées sans qu'on s'en aperçoive. On ressent un vent de liberté dans le groupe. Les mots s'échangent, les rires, les taquineries entre les codétenus. Tous sont fiers d'avoir réussi à écrire quelques lignes sur leur feuille : deux ou trois pour les moins confiants, quatre ou cinq pour les plus volontaires. C'est une petite victoire pour chacun. Au sortir de la salle, les hommes se placent face à leur cellule et patientent. Le surveillant fait tourner la clé. Brigitte et moi les regardons entrer, leur feuille à la main, tel un modeste trophée qui leur rappellera ce bref instant de culture partagée. Plus que jamais nous sommes convaincues de l'utilité de notre démarche en ces lieux.

Marie-France DELPORTE

10 Octobre - SEQUEDIN : adaptation au changement et vertus de l'improvisation

Lundi 10 octobre au centre pénitencier de Sequedin. Brigitte Cassette - Maurice Delbart. 

Troisième expérience et je ressens pourtant une petite appréhension même si nos interventions se font en binôme.

Je suis rassuré d'être en compagnie de Brigitte Cassette, passée présidente et désormais vice présidente et trésorière aux cotés de notre nouveau président,  Antoine DUCLERCQ, élu à la suite de notre dernière assemblée générale. Petit problème cependant, la date de notre intervention  a changé et les détenus n’ont pas été prévenus . Deux seulement se présentent .

Après les présentations et l'exposé des actions réalisées par l’Adan,  j’évoque mon métier de journaliste.  

Les questions fusent. Le contact est établi. L’un des détenus doit quitter la bibliothèque pour raison personnelle et nous nous retrouvons seuls avec le second , Mr T… 

Brigitte sort alors « le grand jeu » à savoir un jeu de petits bouts de papiers colorés dans lequel il faut choisir . Mr T. prend le rouge et avec beaucoup d’esprit et disserte avec brio sur cette couleur.

Après ce récit on a parlé livres et de différents auteurs bien enetendu . Là encore Mr T. démontra ses larges connaissances.

Après ces échanges enrichissants, nous quittons Mr T. à regret , heureux d’avoir procuré un peu de contact et l’oubli de quelques mortelles et ennuyeuses heures d’un détenu.

Mais ce fut sans guides qu’il nous fallu rejoindre l’entrée. Sous l’œil amusé et dubitatif des gardiens, Brigitte sans coups férir franchit habilement portes et couloirs.

Honteux, un doute me vint mais très vite chassé. Mon binôme aurait-il un jour… été pensionnaire de cet établissement ? Non assurément, aucun doute possible quand on connait Brigitte Cassette . 

Grâce à son sens de l’orientation, nous quittâmes le centre de détention : LIBRES. 

14 Mars 2022

Sortie en solitaire au CNE de Sequedin en 2 mi-temps, avec 4 livres en mains et le sourire, bien qu'encore masqué. 

    14h30-15h30 : première mi-temps. 4 hommes enjoués entrent dans la bibliothèque. L'un d'entre eux, à la peau sombre, au regard profond et aux cheveux longs attachés, me lance d'entrée de jeu : "Comment on construit un roman ?" L'échange s'annonce bien. Après la présentation des 4 ouvrages, leur dévolu se jette sur "Dernières nouvelles de Montaubout", pour le besoin de légèreté et "Plafond Céleste", en raison des thématiques du changement et de l'enfermement. La lecture de la nouvelle "L'inauguration" fait mouche. Le débat sur les différentes interprétations est fructueux. À quoi peut bien servir un feu tricolore dans un pays (Montaubout) qui n'en est même pas un ? Les alternatives politiques titillent les méninges et même si la solution miracle n'existe pas, tous conviennent que notre système actuel ne tourne pas bien rond. Bifurcation vers la grotte de "Plafond Céleste". La lecture du chapitre 4, un dialogue dans l'obscurité où les voix se mélangent, interpelle l'auditoire. On parle de théâtre, de roman chorale, d'obscurité, de confusion des genres, de ielle... La lecture d'un extrait poétique du même roman ouvre d'autres pistes de réflexions. La porte de la bibliothèque s'ouvre "Terminé, messieurs." On se salue et ils me font promettre : "Vous les laissez ces deux livres là, promis ?" J'acquiesce joyeusement.

    15h30-16h30 : deuxième mi-temps. 3 hommes pénètrent en file indienne dans l'étroite salle. Un petit monsieur chauve au regard perçant (surnommé l'ancêtre par les autres), me lance : "Je suis passionné de cybernétique appliquée et de mécanique cantique, mais ce n'est peut-être pas le sujet ?" Pas vraiment, même si les strates narratives de l'écriture peuvent vaguement rejoindre la mécanique cantique. Après avoir présenté les 4 ouvrages, ils choisissent les mêmes que le premier groupe. Ravi, j'entame la lecture de "L'inauguration". L'interprétation va encore plus loin : "Vous projetez sur l'Afrique, ce que vous connaissez de la culture du Nord et de la Belgique. Bonne idée !" Dans le mille. Je raconte mon séjour au Togo et nous échangeons quelques mots de ch'ti, juste pour rire. Le débat sur l'intérêt de créer un État qui n'existe pas vraiment, dérive sur l'actualité politique et le grand Z. L'animal médiatique est décodé, analysé et déconstruit de manière brillante. "L'ancêtre" conclut d'un regard assuré : "Même pas en rêve". Inquiet, son voisin rétorque : "On disait ça de Trump." La porte s'entre-ouvre. "Plus que 15 minutes, messieurs." Notre joyeux surveillant s'éclipse. Nous passons sans transition à la grotte de "Plafond Céleste". La discussion s'ouvre dès lors avec Platon, la responsabilité des choix de chacun, l'enfermement volontaire, ou inconscient... La construction narrative du récit interpelle, interroge, intéresse. Je prends donc le temps de détailler le processus. Lorsque j'arrive au moment de lire un extrait du chapitre 4, la porte s'ouvre. "Vous revenez quand ?", me lance l'un d'entre eux. J'explique que je ne reviendrais pas de si tôt, mais que d'autres auteurs et autrices de l'ADAN se rendront au CNE un peu plus tard. Je promets de laisser les livres dans la bibliothèque.

    Les rencontres laissent des traces. Les ouvrages vivront une autre vie au sein de cette petite bibliothèque disparate, dans laquelle je croise des noms et titres qui me font sourire de complicité. Ravis de vous voir ici, mes amis. Je sors un peu éberlué par le dédale de portes et de boutons, comme si je quittais une bulle... Je n'ai pas vu le temps passer. Merci au CNE et aux participants.

 

2 Mai 2022 - Fugue ! En prison ? Alors vous...

Intevention du 2 mai 2022 de Thierry MORALÀ peine sorti, mon 9ème roman "Fugue en mi burlesque" s'offre une virée au CNE de Sequedin. Le surveillant m'ouvre la bibliothèque en me demandant :

    - Il parle de quoi votre bouquin ?

    Je lui montre la couverture.

    - Fugue ! En prison ? Alors vous...

    Il m'invite à m'installer avec un sourire complice. Le temps de poser quelques chaises, les premiers participants arrivent. 6 au total. "7 si vous restez...", vanne un détenu à l'intention du gardien affable. Celui-ci s'empare d'un dictionnaire pour partager un nouveau mot qu'il a appris récemment, mais il n'est pas dedans : "On en apprend tous les jours." Je confirme. La porte se referme. On va pouvoir commencer !

    Les personnes présentes sont très différentes, le groupe paraît bien éclectique. Dès le début, chacun se montre intéressé à sa manière. Je sens que je vais avoir des questions pointues. Après la  présentation de l'association ADAN, nous parlons des auteurs connus : Jean d'Ormesson, Houellebecq, Nothomb... Le monsieur aux lunettes rectangulaires me dit : "Je ne lis que les connus." Un autre questionne : "Est-ce que c'est forcément bon, même si c'est quelqu'un de connu ?" Le débat commence bien ! "Oui, mais les moins connus, on ne les connaît pas." commente un monsieur sur ma droite. Ils en connaissent un de plus qu'ils ont en face d'eux, ce qui me donne une raison supplémentaire de m'engager dans cette voie.

    Une fois le pitch de "Fugue en mi burlesque" dévoilé, je présente les 4 personnages de ce roman chorale : Éric, Alix, Moussa et Maryse. "Je lis un extrait de qui ?" Le plus jeune au visage joueur lance en gloussant :  "La vieille..." J'entame donc le monologue de Maryse. Après les applaudissements, les réactions sont vives : "Elle en a dans le ventre, Maryse". 

    Les échanges s'orientent vers les rapports humains. Le constat est unanime. Ils sont de plus en plus tendus, ici comme ailleurs. Je parle de mon engagement dans la CNV (Communication Non Violente). "C'est pas très non-violent votre truc, là..." Bien sûr, l'acte artistique rend compte du monde, du moins lorsqu'on écrit du roman social. Malgré ce que l'on cherche à titre personnel, le monde est ce qu'il est. Chacun alimente la réflexion, un léger sourire entendu, dénué d'amertume.

    Le modèle économique vient rapidement sur la table. Une fois le laïus achevé, une personne particulièrement intéressée par le sujet conclue : "On se doutait que ce n'était pas une bonne affaire, mais à ce point..." La passion, l'envie de partager et de rencontrer l'autre emporte tout de même la mise. "Et si on ne sait pas écrire, quelqu'un peut le faire pour nous ?" interroge un participant discret, sur ma gauche. On parle donc d'un versant particulier du métier. La référence à "Ghost Writer" (superbe film) ne manque pas à l'appel. Décidément, mes camarades de discussion ont des références qui me plaisent. 

    Soudain, un monsieur au front plissé me demande d'un ton presque inquiet : "Mais comment on structure une histoire ?" On évoque les trames de contes traditionnels, les différentes formes narratives, les "effets" importés du cinéma (flash-back...), pour finir sur le roman chorale. L'enjeu est de tisser la trame en changeant de point de vue, sans emberlificoter les fils narratifs, ni perdre le lecteur.

    "Bon alors, ils y vont au barbecue ou quoi ?" Le fil de l'histoire n'est donc pas perdu. Je raconte la scène, mais certains s'inquiètent sur le sort de Django : "Et le chien, il meurt comment ?" Je lis un passage à ce sujet. "Ils sont vraiment pas tendres entre eux. Et puis, elle est tordue la punk !" On cause du franc parlé, de la tchatche "cash", des temps qui changent à ce sujet...

    Le monsieur à la voix grave et aux lunettes rectangulaires prend des notes, puis lance sur le ton de l'évidence : "Votre cinquième personnage : c'est la forêt ?" Dans le mille. Je parle de Phalempin, mais le plus nordiste du groupe vient de Laon... Une forêt reste une forêt. "Il faut connaître les lieux pour la décrire, non ?" Je confirme tout en ajoutant une petite précision : "Mais lorsque l'on invente, on essaie de le faire le mieux possible." S'en suivent des échanges sur les questions de repérage, de documentation, de visualisation et de précision des faits...

    "Donc en gros, il y a le plan et l'à côté du plan." J'évoque le plaisir que j'éprouve lorsque les personnages prennent le pouvoir et me forcent à changer la ligne de conduite initiale. C'était l'enjeu de la question du "meurtre" dans le livre (qui n'en n'est même pas un en réalité). Il s'agissait d'un simple prétexte pour revenir au thème centrale. On arrive tout doucement vers le dénouement. Le jeu du qui fait quoi après sa fugue les amuse beaucoup. "C'est un peu un Cluedo votre truc ?" 

    "Vous devriez écrire sur la prison." Je raconte mes différentes expériences en détention, le fait que je ne choisis pas tout à fait mes sujets, que je préfère qu'ils s'imposent à moi. "Je ne suis pas René Frégni" dis-je timidement. "Je le connais" me lance le monsieur aux lunettes rectangulaires. "Il est très bon." Je confirme : "Respect. J'y viendrais un jour, peut-être ?"

    En guise de conclusion, je propose de lire le slam final de Moussa. La forme poétique leur parle beaucoup. "Franchement, j'aurais pas su le dire comme vous." Je reçois le retour en souriant. "C'est pas le même style que vos dialogues." On revient sur la notion de rythme, d'éviter l'écriture "monochrome", de créer de la diversité dans l'ouvrage.

    Les presque deux heures sont passées sans que personne ne s'en rende compte. "Je vais le lire votre livre, et peut-être d'autres..." lance le monsieur aux lunettes rectangulaires qui me salue en m'appelant par mon prénom. Pendant que je range la salle, j'entends les échanges enthousiastes avec les surveillants. Alors que je pose le roman sur l'étagère de la bibliothèque, le gardien revient vers moi : "Je crois qu'ils l'ont eu leur moment de fugue."

    Je sors tranquillement de l'établissement après le dédale de portes, boutons et mouvements de têtes à travers les vitres opaques. "Fugue en mi burlesque" aura eu une belle première escapade à Sequedin. Les livres nous amènent à vivre toujours plus d'aventures humaines, sensibles et authentiques. Merci à ceux qui jouent le jeu de ces rencontres et à ceux qui les rendent possibles.

Thierry MORAL

20 juin 2022 - Maison d’Arrêt de Sequedin

 

Sylvie Bocquet et Brigitte Cassette

Il nous faut attendre dans le hall, encore un peu, toujours patienter. L’attente semble incontournable avant toute intervention en milieu pénitentiaire. Elle précède l’action, se veut indissociable du moment fixé qui nous octroiera ou non le droit de pénétrer dans l’enceinte hermétique.

Après les vérifications administratives incontournables, vient le passage des portillons de contrôle, le dépôt dans les coffres de nos téléphones et de nos sacs. Notre attente s’égrène au fil de la ronde des aiguilles imperturbables du cadran. Ici le temps parait bloqué, interrogatif et indécis, ne sachant que faire de ces minutes superflues, de ces heures additionnelles ternes et sans saveur.

Depuis les années que nous intervenons dans les prisons des HDF, Sylvie Bocquet et moi-même connaissons bien ce sas qui sépare les univers distincts de part et d’autre des hauts murs. Ce passage obligé permet aux émotions des visiteurs de décanter peu à peu, telle la lie se dépose en silence au fond d’une bouteille de vin. Ce temps mort permet à l’intervenant de se conditionner mentalement afin de faire la jonction entre le monde extérieur, bruyant et agité qu’il vient de quitter, et celui du dedans, amorphe et silencieux, dans lequel il s’apprête à s’immerger tout entier.

Le surveillant arrive enfin, essoufflé. Il s’excuse : il y avait des mouvements dans les couloirs. Des détenus qu’il faut emmener au parloir, devant les familles ou face à leur avocat, des prisonniers qu’il faut conduire d’urgence à l’infirmerie ou chez le dentiste. Les aléas ordinaires auxquels les équipes doivent faire face au quotidien.

Nous retrouvons les détenus dans la bibliothèque. Plusieurs cas avérés de Covid ont réduit le groupe inscrit à un trio d’individus. Issus d’horizons divers, ces hommes paraissent ne rien avoir en commun. A travers le livre et la lecture, certains se découvrent quelques affinités…

Je leur expose le but de notre présence ; nous survolons ensemble les différents genres littéraires (roman, nouvelles, essais, poèmes…) ainsi que les divers supports et modes d’expression au moyen de questionnements ludiques. Mon ancien métier de formatrice refait surface. Ils cherchent, ils s’activent. Je leur lis un extrait d’une de mes nouvelles dans laquelle le merveilleux tient une place importante. Ce n’est pas négligeable dans pareil endroit où les rêves sont limités. Ils m’écoutent avec respect et attention, quelques sourires s’affichent sur leur visage, puis je leur conte un poème afin de leur permettre de s’évader en pensées.

Un membre du trio témoigne de ses premiers pas dans l’écriture. Il nous demande des informations utiles à la publication d’un ouvrage. Nous le conseillons au mieux.

Sylvie poursuit l’intervention en présentant son travail de romancière. Avec beaucoup de douceur, elle expose l’origine, le but et le choix de son sujet (guerre politique en Afrique), puis passe à la présentation des personnages et à la lecture de quelques pages du récit. Ils se montrent très intéressés. Nos deux ouvrages sont déposés à la bibliothèque. Nos auditeurs s’en emparent avant de nous saluer. Tous trois nous remercient pour notre intervention. Les hommes se montrent très sensibilisés par le temps que nous leur avons accordé et par les démarches qu’il nous a fallu mettre en œuvre pour venir à leur rencontre.

Ce n’est pas la première fois que j’entends ces aveux de la part des détenus, preuve que le travail de l’ADAN est loin d’être superflu… inviation à d'autres auteurs de se prêter à cet exercice riche en humanité et plein d'enseignements . 

 

Brigitte Cassette

22 Août- SEQUEDIN : le QUATUOR

SEQUEDIN : le QUATUOR du 22 Août

Ils sont quatre à la bibliothèque de Sequedin, ce 22 août, venus passer six semaines au centre d'évaluation dans l'espoir d'un aménagement de leur peine. L'un est tout fier d'avoir obtenu en prison un CAP, lui qui n'avait jamais eu l'occasion de faire d'études, un autre ronge son frein en espérant continuer son cycle de sociologie, un troisième beaucoup plus jeune vient d'obtenir son bac.  Le temps de nous saluer, de nous installer, je leur lis le prologue de mon roman : "L'ombre d'Auriel". Ils ont été touchés par le début de cette histoire d'amour contrariée par les horreurs de la première guerre mondiale et ils ont cherché la façon dont l'histoire pouvait évoluer. "C'est ce que nous vivons ! La séparation, l'attente du courrier, les questionnements, l'incertitude, les doutes, l'espoir, les manques, la patience..."

Cette histoire n'est pas leur histoire mais ils s'y projettent et elle les touche. 

Comment s'y prendre pour écrire un livre ? La question vint du jeune bachelier, nostalgique de la Guadeloupe de son enfance, qui aimerait faire revivre ses souvenirs.

"Moi, j'en ai écrit un !" C'est le futur sociologue, à la barbe soignée, qui brandit un gros roman attrapé sur le rayonnage derrière lui, un livre de Suzanne H.. Un transgenre, donc, ce qui nous a tous fait rire. Je m'aperçois que je n'ai pas encore évoqué le dernier du quatuor. Il nous a lu un poème de sa composition, pas mal tourné du tout.

Ces deux heures ont été pour ce quatuor une récréation, une brève incursion dans monde dit "normal", l'occasion d'exprimer une part de leur vie intérieure. Et pour moi l'évidence que, quand la vie bascule, il y a toujours un être humain qui pense, qui rit, qui s'interroge et qui espère, comme moi.

Marie-Claire George

Sortie en solitaire au CNE de Sequedin

 en 2 mi-temps, avec 4 livres en mains et le sourire, bien qu'encore masqué. 

    14h30-15h30 : première mi-temps. 4 hommes enjoués entrent dans la bibliothèque. L'un d'entre eux, à la peau sombre, au regard profond et aux cheveux longs attachés, me lance d'entrée de jeu : "Comment on construit un roman ?" L'échange s'annonce bien. Après la présentation des 4 ouvrages, leur dévolu se jette sur "Dernières nouvelles de Montaubout", pour le besoin de légèreté et "Plafond Céleste", en raison des thématiques du changement et de l'enfermement. La lecture de la nouvelle "L'inauguration" fait mouche. Le débat sur les différentes interprétations est fructueux. À quoi peut bien servir un feu tricolore dans un pays (Montaubout) qui n'en est même pas un ? Les alternatives politiques titillent les méninges et même si la solution miracle n'existe pas, tous conviennent que notre système actuel ne tourne pas bien rond. Bifurcation vers la grotte de "Plafond Céleste". La lecture du chapitre 4, un dialogue dans l'obscurité où les voix se mélangent, interpelle l'auditoire. On parle de théâtre, de roman chorale, d'obscurité, de confusion des genres, de ielle... La lecture d'un extrait poétique du même roman ouvre d'autres pistes de réflexions. La porte de la bibliothèque s'ouvre "Terminé, messieurs." On se salue et ils me font promettre : "Vous les laissez ces deux livres là, promis ?" J'acquiesce joyeusement.

    15h30-16h30 : deuxième mi-temps. 3 hommes pénètrent en file indienne dans l'étroite salle. Un petit monsieur chauve au regard perçant (surnommé l'ancêtre par les autres), me lance : "Je suis passionné de cybernétique appliquée et de mécanique cantique, mais ce n'est peut-être pas le sujet ?" Pas vraiment, même si les strates narratives de l'écriture peuvent vaguement rejoindre la mécanique cantique. Après avoir présenté les 4 ouvrages, ils choisissent les mêmes que le premier groupe. Ravi, j'entame la lecture de "L'inauguration". L'interprétation va encore plus loin : "Vous projetez sur l'Afrique, ce que vous connaissez de la culture du Nord et de la Belgique. Bonne idée !" Dans le mille. Je raconte mon séjour au Togo et nous échangeons quelques mots de ch'ti, juste pour rire. Le débat sur l'intérêt de créer un État qui n'existe pas vraiment, dérive sur l'actualité politique et le grand Z. L'animal médiatique est décodé, analysé et déconstruit de manière brillante. "L'ancêtre" conclut d'un regard assuré : "Même pas en rêve". Inquiet, son voisin rétorque : "On disait ça de Trump." La porte s'entre-ouvre. "Plus que 15 minutes, messieurs." Notre joyeux surveillant s'éclipse. Nous passons sans transition à la grotte de "Plafond Céleste". La discussion s'ouvre dès lors avec Platon, la responsabilité des choix de chacun, l'enfermement volontaire, ou inconscient... La construction narrative du récit interpelle, interroge, intéresse. Je prends donc le temps de détailler le processus. Lorsque j'arrive au moment de lire un extrait du chapitre 4, la porte s'ouvre. "Vous revenez quand ?", me lance l'un d'entre eux. J'explique que je ne reviendrais pas de si tôt, mais que d'autres auteurs et autrices de l'ADAN se rendront au CNE un peu plus tard. Je promets de laisser les livres dans la bibliothèque.

    Les rencontres laissent des traces. Les ouvrages vivront une autre vie au sein de cette petite bibliothèque disparate, dans laquelle je croise des noms et titres qui me font sourire de complicité. Ravis de vous voir ici, mes amis. Je sors un peu éberlué par le dédale de portes et de boutons, comme si je quittais une bulle... Je n'ai pas vu le temps passer. Merci au CNE et aux participants.

 

Thierry Moral