Dunkerque
Brigitte Cassette - 03 décembre 2012
Ce lundi-là, le parloir de la Maison d’Arrêt avait troqué sa vocation première pour se transformer, le temps d’une séance de deux heures, en salle d’activité. A mon arrivée, rien n’était prêt. Ni le paperboard promis, ni les feuilles de brouillons réclamées, ni même les stylos pour les détenus. Autant dire que j’étais un peu dépitée, d’autant plus que le groupe des dix volontaires déboula peu de temps après, les mains dans les poches. Heureusement, j’avais eu le temps de regrouper les tables en rectangle et de positionner les chaises face à celles-ci.
A défaut de moyens, il faut de l’astuce ! Le premier quart d’heure en souffrit malgré tout, car sans matériel, sur quelques simples feuilles A4 que j’avais emportées, la partie théorique fut moins visible par le groupe. Néanmoins, un surveillant se démena pour m’apporter peu après les outils de travail indispensables.
C’est dans un climat serein que se déroula la première partie de cet atelier, centrée sur la création d’un personnage. Grâce à une série de questions ludiques, mémoires et réflexions furent sollicitées, l’imaginaire s’éveilla lentement, un échange interactif se créa entre les détenus et moi-même. Ils participaient bien, hormis deux d’entre eux particulièrement silencieux qui gribouillaient sur leur feuille la tête basse. En les interrogeant, je m’aperçus qu’ils ne me comprenaient pas car ils ne parlaient pas le français ! Triste erreur de casting de la part des responsables du pôle animation… Je n’avais pas prévu d’activité en alphabétisation ! Je parvins néanmoins à leur faire exécuter quelques exercices rédigés en hâte.
Parvenus au stade de la production écrite finale, les détenus s’appliquent tandis que les lacunes se révèlent sur les pages. Beaucoup de frustrations, d’hésitations, de craintes à surpasser, mais une volonté manifeste pour la majorité de noircir les pages, de raconter quelque chose, de créer un personnage en qui il projette leurs rêves ou leurs ambitions. Un seul détenu semble faire de la résistance passive. Pendant que les autres écrivent, lui réfléchit ; un peu, beaucoup, voire passionnément…. Il cherche l’inspiration, c’est ce qu’il affirme en tout cas. C’est ce qu’il tente de me faire croire. Ladite muse lui fait tellement défaut qu’il n’écrira pas un seul mot. Il retourne sa feuille. Je n’insiste pas. Je le laisse libre. Peut-être se lancera-t-il au cours d’un prochain atelier.
Au terme de la séance, je propose aux hommes de partager à voix haute le fruit de leur travail. D’ordinaire dans ce genre d’atelier, il faut attendre qu’un premier volontaire, plus téméraire que les autres, se lance avant que ses semblables n’osent se livrer. Rien de tel pour celui-ci. Alors qu’il pourrait lire assis, l’homme se lève, se place de lui-même à l’extrémité des tables, face au groupe, et lit à voix haute, sans appréhension, sans tremblement, mais plutôt avec une sorte de contentement et d’impatience dans la voix. C’est de bon augure. Après chaque lecture la fierté se lit sur les visages, les yeux brillent. Le défi est relevé ; cela mérite des applaudissements. La séance se termine dans une atmosphère joyeuse et détendue.
Un petit dérapage cependant : alors que le groupe se rassemble derrière la porte blindée pour sortir, aucun surveillant n’est présent, nous sommes enfermés. Un détenu me demande alors si je possède un boitier alarme. Cet appareil, je le sais, ne doit servir qu’en cas d’urgence. Le détenu m’engage pourtant à appuyer sur le bouton rouge. J’hésite, je le questionne par deux fois « tu es sûr ? ». Après réflexion, je me dis que ce boitier doit faire office de Bip comme dans les hôpitaux. Deux surveillants se ruent dans la salle. Je me suis fait avoir. Conclusion : Ne jamais appuyer sur le bouton sauf en cas d’urgence !
Jean-Louis Lafon - Le 5 décembre 2012
Écritures re/détenues
Porte blindée
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Gymnase glacial
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Pulls bleu marine
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Rentrée littéraire
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Brosse placide
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Crânes excités
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Tabourets bleu ciel
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Papier libre
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Proverbes pervertis
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Morales élémentaires
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Minuscules noires
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Exercices oulipiens
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Trois personnes, c’est peu
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Sur cent détenus, c’est bien
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S’évader du quotidien
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Crier son mot,
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péter son verbe
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Vive la République
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des lettres
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Atelier unique
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Parcours prisonnier
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Appréhension apprivoisée
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Expérience itérable
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