Bien malgré moi et à ma grande déception, c’est seule que je débarquai ce lundi à la prison de Sequedin, mon accompagnatrice, l’auteure Marie-France Delporte, étant déclarée officiellement « cas contact » quelques jours avant la date de notre intervention commune.
Dans le hall du centre pénitentiaire, après les vérifications d’usage, je patiente sur un banc. Mon arrivée a été annoncée au sein du service concerné et j’attends depuis lors l’agent du SPIP qui me conduira à la bibliothèque. Durant cette poignée de minutes, j’ai le temps d’observer.
Il me semble que ce vestibule s’apparente, dans une moindre mesure certes, à un hall de gare de campagne. Un avocat entre, un autre sort ; deux agents en uniforme saluent ceux de l’accueil, un troisième, garant du portique de sécurité, contrôle un visiteur qui vient pour des réparations dans l’enceinte du bâtiment. Les laissez-passer passent de main en main, les badges sont prêtés- rendus ; les attestations témoignent du bon droit, les cartes d’identité montrent patte blanche, les casiers de fer retiennent pour un temps les téléphones, les clefs et tout autre objet indésirable dans l’enceinte de la prison.
Il existe un va et vient bien ordonné mais quasi-permanent entre l’air libre, frais et léger, qui pénètre de l’extérieur, et ce sas confiné, véritable antichambre de l’accès aux cellules dont certaines garderont leurs portes closes jusqu’à perpétuité.
Je bavarde avec deux agents qui patientent comme moi. Au bout d’un certain temps, ne voyant rien bouger, l’un deux informe l’accueil qu’il attend « l’écrivain ».
-Mais c’est moi ! dis-je en m’exclamant.
Il me dévisage avec surprise. Ainsi donc, nous nous attendions mutuellement depuis plusieurs minutes, côte à côte, sans le savoir. Eh, oui… « un écrivain » peut-être aussi une femme…
Ce petit malentendu dissipé, je suis escortée à travers un dédale de couloirs par les deux hommes en uniforme qui m’encadrent de chaque côté. Ils sont plus grands que moi. J’ai la sensation de vivre un épisode d’une série américaine dans laquelle je ne serais que la pauvre victime innocente d’une erreur judiciaire monumentale.
Les cliquetis des clefs résonnent, les grilles s’ouvrent, les ordres de passage sont donnés, le ciel bleu n’est plus visible… Me voici cette fois dans les entrailles de la prison.
Je dois assurer deux heures de face à face avec les détenus. Je décide de conserver l’heure qui me revenait à évoquer le métier d’auteur, à lire quelques extraits de mon Album de Douceurs et de mes Nouvelles à Croquer, puis à réfléchir sur la place des mots dans la création artistique et dans la société. Les échanges sont riches et cordiaux, les détenus ne sont pas indifférents, ils prennent part à la conversation avec intérêt.
En deuxième heure, je complète l’animation par un petit atelier d’écriture. Les prisonniers ont le choix entre deux thématiques : une lettre d’amour ou un texte court inspiré par une couleur. Le jaune et le vert sont tirés au sort par deux détenus grâce à des petits papiers pliés. Les deux autres choisissent, pour l’un, une lettre d’amour à l’intention de sa mère, et pour l’autre, une lettre d’amour destinée à la femme rêvée. Même derrière les barreaux, l’amour parle au cœur.
Tous travaillent avec application, la tête penchée sur le papier, trop heureux sans doute d’oser colorer leur avenir d’un soupçon de bonheur. A la fin de la séance, la lecture des textes à voix haute par chacun suscite une certaine fierté. Je la vois se refléter nettement dans leurs yeux et sur leurs visages.
J’en profite pour aborder la question des liens existant entre les détenus et leurs familles à travers les échanges de courriers. Ces échanges épistolaires sont–ils nécessaires, voire indispensables ? Bien que prévisible, la réponse affirmative est unanime. Ces lettres qu’ils attendent avec impatience, et qui leur parviennent de façon régulière ou épisodique, les prisonniers en ont besoin comme une bouffée d’oxygène, comme le souffle de la liberté extérieure qui s’infiltre par une fenêtre restée entrouverte.
Un détenu m’explique que la première année de son incarcération, il réceptionna près de 300 lettres de soutien, adressées par sa famille, ses amis, et son entourage. L’année suivante il en reçut 250, puis 200... Aujourd’hui, une dizaine d’années plus tard, il en reçoit 2 ou 3 par an…Le temps a eu raison de la camaraderie et des belles promesses. Les siens l’ont oublié, volontairement ou non, et l’ont abandonné à son sort. Il me dit que pour lui, le plus difficile est de tenir sur la durée, savoir que l’on ne compte plus pour quiconque désormais, c’est cela qui fait mal…