2019

Maurice Delbart et Vincent Carrue à Sequedin le 25 novembre

LA LIBERTE  PAR LES LIVRES

Pour la seconde fois, j’ai connu l’appréhension “ de “franchir” ce centre de détention.  Et pour la seconde fois j’ai trouvé un succulent plaisir et un certain bonheur aussi d’amener quelques heures d’oubli, l’impression de trouver auprès des détenus un accueil aussi intéressant que chaleureux et, peut-être, de leur faire oublier quelques instants la prison.

Avec Vincent Carrue, mon binôme, nous nous sommes retrouvés sur  le  parking face au Centre et notre rencontre fut très chaleureuse. Mais il fallait aussi pénétrer dans la prison. Demande de notre carte d’identité, dépôt des téléphones portables, pièces ou argent sont allés atterrir dans un petit casier. Puis un impressionnant gardien  nous a fait traverser le centre pour notre “mission”... Alors les portes qui cliquent, les serrures qui grincent furent autant d’impressions désagréables.

Et puis ils arrivèrent. Ils étaient neuf, tous intéressés, passionnés même. Par mesure de précaution, on confia à Vincent un bip pour alerte en cas de problème, mais pas nécessaire face à des détenus en fin de détention et qui nous déclarèrent même pouvoir bénéficier de quelques sorties (surveillées discrètement) pour des visites de musée.

Mais c’est la littérature que nous avons évoquée, face aux détenus intéressés, érudits qui parlèrent même de littérature égyptienne. Là, j’étais un peu largué.  Plus facilement, nous avons côtoyé des écrivains français et évoqué leur œuvre. Large tour d’horizon, certes, mais les bouquins un instant oubliés, ce fut de la pauvre planète et de l’écologie absente dont il fut question, au grand regret des détenus qui revêtirent la tenue d’écolos.

C’est dire tout l’intérêt, toute la joie de passer, avec Vincent, ces quelques heures de “bonheur”, le mot n’est pas trop fort et d’apprendre que, pour les détenus, la littérature et ses écrivains avaient un sacré goût de LIBERTE

Et le bibliothécaire nous a confié qu’en fin de semaine il serait libre. Un petit goût d’amertume car il rencontrait quelques difficultés, il avait donné sa nouvelle adresse dans une caravane ce qui fut refusé par la juge. C’est finalement chez un copain qu’il habiterait. Sinon il perdait le petit pécule gagné au cours de ces années de détention. 

Maurice DELBART

 

Isabelle Mariault et Jean-Louis Lafontaine au Centre pénitentiaire de Vendin le Vieil le 7 octobre

Sont présents :

Ottmane de Roubaix,

Laurent d’Arras,

Tayeb de Paris, le bibliothécaire

Marie-Corinne, la responsable en charge de notre intervention. C’est la première fois qu’une responsable reste lors de nos échanges.

Réputée pour être la prison la plus dangereuse de France et, de fait, étiquetée prison de Haute sécurité, nous nous rendons compte qu’il est plus compliqué d’y pénétrer que dans les autres centres de détention. Toutefois, nous sommes étonnés de la modernité du lieu et de toute l’organisation autour des détenus, les amenant à profiter de ce temps d’incarcération pour s’ouvrir à des activités telles que :

  • Dessin avec intervention du LAM
  • L’ADAN
  • Reprise d’études pour certains,
  • Musculation
  • Soins aux animaux.

Une fois arrivés dans la bibliothèque, nous sommes surpris par l’accueil des détenus, comme s’ils nous conviaient à venir prendre le café chez eux. Nous les invitons à se présenter et à expliquer leur intérêt pour la lecture. Ottmane lit peu, a envie de s’y mettre et souhaitait rencontrer des auteurs. Laurent lit plutôt des journaux, ou des livres dit-il par contrainte, mais s’est empressé de terminer le livre de Jean-Louis pour pouvoir en parler. Tayeb lit énormément, fait preuve d’une grande culture et a lu celui  d’Isabelle.

Nous nous présentons chacun notre tour nos ouvrages et ce qui nous a amenés à l’écriture.

Après quoi, les échanges, qui tournent habituellement autour de sujets divers, prennent une tournure inaccoutumée. Tayeb monopolise la conversation pour faire une critique détaillée et constructive du livre d’Isabelle. Certaines réflexions sont fondées, d’autres moins, mais, au bout du compte, il en a apprécié la lecture et dit être interpellé par l’histoire. Pour Isabelle, son retour a été d’une richesse exceptionnelle, d’autant qu’il affirme qu’un passage du livre est une histoire vraie alors qu’elle est issue de son imaginaire. Il en a d’ailleurs donné certains détails. Il pensait qu’elle était au courant  de ce secret d’état.

Laurent a aprécié globalement le livre de Jean-Louis, notamment en ce qui concerne l’histoire des incas.

Sur le chemin du retour, nous croisons des détenus, ce qui n’est pas censé avoir lieu. Tous nous serrent la main et nous disent bonjour. De ce lieu soi-disant le plus violent de France, nous garderons d’abord la richesse des discussions, la bienveillance et la curiosité de nos interlocuteurs, une fois de plus.

Isabelle Mariault

Valérie Florian & Jean-François Zimmermann au centre de Sequedin, 19 août 2019

Les détenus présents à Sequedin sont en situation d’évaluation pour une éventuelle remise de peine.

« Ils s’efforcent de se montrer sous leur meilleur jour », nous confie un des surveillants.

Ils sont huit à entrer dans la petite bibliothèque, souriants, décontractés, très à l’aise. Faussement très à l’aise comme lors d’un entretien d’embauche. Mais l’apparence des choses prime bien souvent sur leur réalité car c’est cette illusion que nous désirons percevoir. Les surveillants, confiants, nous laissent seuls avec eux. Deux heures d’échanges, de digressions parfois éloignées de notre univers de plume, ont précédé la présentation du « Roi des halles », ce spécialiste de l’évasion qu’était le duc de Beaufort !

Valérie et moi-même avons présenté l’ADAN, notre association d’auteurs, nos destins réciproques d’écriture, nos passions littéraires. Quelques lectures ont ponctué notre discours.

L’un des détenus, la cinquantaine bien avancée, très en verve, nous raconte son histoire. Il nous dit être en 3ème année d’étude d’histoire de l’art. Il a participé à la rédaction d’un livre d’un collectif d’auteurs intitulé : « Tentative d’évasion à Clairvaux » (aux éditions Loco), prison où il a séjourné. Ses écrits sont publiés sous le pseudo de « Tonio ». Grâce à l’intervention heureuse de son avocat Maître B., ceux-ci ont contribué à commuer sa condamnation initiale à perpétuité et à permettre une libération prochaine.

Pour l’anecdote, ce détenu a figuré dans un film de Gilles Blanchard « La tête d’or », tourné au centre pénitentiaire de Ploemeur. L’actrice principale en était Béatrice Dalle.

Nous avons remarqué l’ambiance cordiale et détendue qui semblait régner entre les détenus et les surveillants.

 

Jean-François Zimmermann

 

Audrey Ferraro et Hervé Leroy au CNE de Sequedin le 1e juillet

A Sequedin, un autre regard posé sur le monde

« Merci à vous d’être venus jusqu’à nous. »Il est 15 h 56 ce lundi 1erjuillet au Centre national d’évaluation (CNE) de Sequedin. 

Personne n’a vu le temps passer. L’espace de deux heures, rien n’a pesé : ni l’alarme posée à la ceinture, ni les barreaux de la fenêtre qui donne sur une espèce de playground aux lignes jaunes, entre basket et handball. Elle, est venue avec l’un de ses ouvrages : Vélo-Club de Roubaix, au cœur de la légende, édité par Publibook. La préface est d’Arnaud Tournant. 

Lui, a apporté son dernier livre : Ces Gens du Nord qui ont fait l’Histoire, au Papillon rouge éditeur. L’un des détenus s’est lancé dans la lecture, évoque Charles de Gaulle, s’émerveille sur le créateur de la 2 CV, Pierre Boulanger, natif de Sin-le-Noble, ou s’identifie à Raymond Kopa et à Georges Carpentier, le premier champion du monde français de boxe, né et grandi à Lens. Lui aussi a pratiqué le noble art. Lui aussi considère le ring comme une école de la vie.

Mais l’essentiel de la rencontre n’est pas là. Tout passe par le regard, circule dans l’échange, dans cette sympathie au sens grec du terme. 

L’un est épris de philosophie et fait preuve d’une étonnante maturité face à la question kurde en Turquie. L’autre mûrit son projet de restauration, pense aux plats qu’il pourra concocter dès sa sortie. Un troisième n’a plus revu sa famille au Maroc... depuis combien d’années déjà ? Le plus ancien se souvient des parfums de son enfance et craint la pollution dans ce monde qui aura changé lors de sa  libération.

L’essentiel, soudain, n’est plus dans le livre, mais dans la rencontre. Le livre et l’écriture, au demeurant, font partie du quotidien de ces détenus qui purgent de longues peines. L’un avoue s’évader au travers des pages des livres. L’autre écrit lui-même, comme une manière de mieux se connaître, et espère bien être publié quand il sera libre de le faire. Le plus ancien parle de la qualité - et surtout de l’amour – qu’il y a dans les lettres envoyées à son épouse.  

Bientôt, la réalité saute à la figure. A la montre, il est déjà 15 h 56. Il reste juste quatre minutes avant la fin de l’intervention. « J’ai peur de la pollution mais je sais que dans la vie, tout peut changer en fonction du regard que l’on pose sur le monde » dit le plus ancien. Magie de l’instant. Miracle de la rencontre. C’est la plus belle des récompenses pour les deux auteurs de l’ADAN présents ce lundi 1erjuillet à la prison de Sequedin. 

Soudain, l’un des détenus lâche...  « Merci à vous d’être venus jusqu’à nous. »

Hervé LEROY

Audrey FERRARO, auteure de « Vélo-Club de Roubaix, au cœur de la légende », édité par Publibook.

Hervé LEROY, auteur de « Ces Gens du Nord qui ont fait l’Histoire », au Papillon rouge éditeur.

José Herbert et Isabelle Mariault au CNE de Sequedin le 11 février

Lorsque nous arrivons, nous sommes guidés vers une salle du deuxième étage, proche des cellules. C’est la première fois pour l’un et l’autre que nous aperçevons ce lieu de vie avec ces portes blindées infranchissables. Nous pénétrons dans une petite pièce aux murs blancs, un jeu de tarot traîne sur une table. Il nous faut placer les chaises avant l’arrivée des détenus.

Cette partie de l'établissement pénitentiaire est occupée par ceux qui espèrent obtenir une libération conditionnelle. Pendant six semaines, des psychologues criminologues observent leurs comportements et dialoguent avec eux. Sont-ils réinsérables ? Sont-ils dangereux ? Y a-t-il risque de récidive ? Une commission rend enfin son verdict. C’est finalement le JAP (juge d’application des peines) qui décide ou non d’une remise en liberté. Nous apprendrons le fonctionnement du système de la bouche même des détenus qui sont devant nous, en fin d’intervention.  Ils ne sont pas convaincus de l’efficacité de ces entretiens où ils doivent livrer un peu de leur enfance dont ils doivent aller chercher des souvenirs enfouis et surtout, estiment le jugement du J.A.P. peu objectif et pour le moins, aléatoire. Nous les sentons perplexes quant à leur avenir mais, d’une manière générale,  considèrent qu’ils ont tiré la leçon de leur séjour en prison.

Nous sommes munis à la ceinture d’un boîtier « alarme » très sensible. Celui de José va biper plusieurs fois pendant les deux heures d’intervention, sans conséquences autre qu’un large sourire de la part de tous. Ce n’est pas la première fois que nous intervenons en milieu carcéral. Comme disait Molière : « que diable allons-nous faire dans cette galère ? », sauf qu’il ne s’agit guère d’une galère. Au contraire ! Nous avons devant nous neuf personnes provenant d’horizons divers, très intéressées, très aimables : Paris, Beauvais, Reims, Roubaix, Saint-Dizier, La Réunion, La Guadeloupe. Certains lisent beaucoup, d’autres peu. L’un est passionné par la philosophie et cite Albert Camus, un autre se dit très intéressé par l’étude des langues, il en maitrise d’ailleurs quatre, le français, l’anglais, l’espagnol et l’italien et écrit des poèmes qu’il ne souhaite pas divulguer. Un troisième est lecteur de littérature fantastique. Un quatrième a s’est mis à lire pour lui en se mettant à faire la lecture à ses huit enfants.

Nous présentons à tour de rôle nos productions, sans oublier le côté « personnel ». Qui sommes-nous ? Quels ressorts animent nos doigts sur le clavier ? Qu’en est-il de ce monde fou des écrivains et de l’édition ? Les échanges sont nombreux, judicieux et parfois passionnés. Puis vint le temps du « avez-vous des questions ? », ce temps qui permet toutes les audaces. Et de l’audace il y en eut, toujours dans la bonne humeur, mais avec sérieux. En vrac : les religions - sujet sensible, mais tous s’accordent à dire que la religion ne devrait pas être régie par le pouvoir, mais par le respect de la différence - la tolérance, la vie en prison et la confrontation à la violence à laquelle, ils ne souhaitent pas répondre,  la télévision et ses programmes abêtissants, la modernité qui nous rend un peu plus paresseux chaque jour et qui nous amène à une vie moins authentique, le bilinguisme et l’apprentissage précoce d’une langue en milieu scolaire, la retraite, la langue française et la réforme de l’orthographe, les voyages, la réinsertion difficile et plus particulièrement  pour ceux qui sont seuls à l’extérieur et qui peuvent préférer cette vie « cloitrée » plutôt que la liberté insécurisante,. Ce n’est pas le cas pour ceux qui sont présents. Certains sujets sont très éloignés de la teneur de nos bouquins, mais qu’importe ! Les discussions sont musclées, argumentées, étonnantes, parfois bruyantes, mais toujours respectueuses et souvent teintées d’un chouia d’humour. « Il faut écrire un livre sur la retraite », dit l’un. « Vous êtes sincères et passionnés », dit un autre. « Votre livre devrait faire l’objet d’un film » dit encore un troisième. Trois d’entre eux prennent même les coordonnées de nos blogs et nous promettent d’acheter l’un de nos livres. Nous sommes remerciés chaleureusement par des paroles sincères et des poignées de main. « Merci pour la lumière que vous nous avez apportée » ou encore « Merci pour la fenêtre que vous venez d’ouvrir, ça fait du bien », nous diront-ils en fin de séance. Comme à chaque fois, nous sortons de cette aventure les neurones bousculés par pléthore de sentiments, avec la certitude d’avoir vécu une expérience humaine exceptionnelle et d’avoir accompli en même temps, tels les scouts louveteaux ou autres pionniers, une « bonne action ».   Si nous avons pu leur apporter du bonheur, il est clair qu’ils nous en ont apporté tout autant.