Compte-rendu de la rencontre du 24 juillet 2017 à la maison d'arrêt de Douai
Marie Compagne et Bernard Pignero
C'est le jour J. Bernard Pignero et moi sommes attendus à la maison d'arrêt de Douai pour une rencontre avec les détenus autour de nos ouvrages respectifs. Traduit du français pour Bernard, Escape pour moi. Et là, je réalise que proposer Escape en prison relève presque de la provocation… J'espère qu'on ne m'en tiendra pas rigueur !
Nous verrons bien…
Après les contrôles de routine, une animatrice SPIP nous emmène dans le cœur de la maison d'arrêt. Les grilles se succèdent, on nous confie un talkie walkie, au cas où. Après tout, ce n'est pas un centre aéré ; il peut se passer n'importe quoi. Mais je ne suis pas inquiète. Ce sont des lecteurs que nous allons rencontrer ; et un lecteur, ça ne s'amuse pas à tarir la source de ce qui le relie au dehors. Peut-être suis-je un peu naïve ; je crois à l'humain et aux vertus de la littérature, c'est tout.
On nous indique une salle où nous retrouvons trois hommes ainsi qu'une autre animatrice. Nous serons six pour cet échange qui sera filmé – pour leur réseau interne, nous dit-on, peut-être en vue de motiver d'autres détenus pour des activités à venir. Dès le début, on sent que le moment sera au moins agréable. Bernard se présente. Il a déjà participé une fois à ce genre d'expérience ; il est donc l'ancien ; je suis la novice. Je n'ai rien préparé. Et c'est très bien comme ça. Tout est possible. Tout peut arriver. Je suis ouverte et disponible à tout. J'ai hâte de rentrer dans le vif du sujet. Ce qui vient rapidement. Nos compagnons ont lu nos livres et pris des notes ; ils ont discuté entre eux, préparé l'entretien. Et leurs remarques sont pertinentes. « Pourquoi ce thème de l'homosexualité ? » « Ça a le temps d'écrire, un chef d'entreprise ? » « J'ai trouvé que la fin était un peu rapide. » « Vos alexandrins, c'était un véritable plaisir ! »
Le plaisir, c'est nous qui le prenons. L'échange est riche, authentique. On passerait volontiers plus de temps avec ces hommes. J'ai envie d'apprendre d'eux. Ce qu'ils ont fait dans une vie antérieure ne m'importe pas. Ils ne sont pas des anges, c'est entendu ; un ange, ça ne s'incarcère pas. Mais on sent la sensibilité et l'intelligence ; leur expérience de vie est unique et on sent que la détention est une punition douloureuse. « Quand vous vivez 22h sur 24 dans une cellule avec quelqu'un que vous n'avez pas choisi, que vous partagez jusqu'au plus intime de votre intimité, il faut comprendre que certains deviennent fous. Le système tel qu'il est pratiqué est tout sauf efficace. » C'est aisé à comprendre, en effet. Heureusement, un quartier de l'établissement est « ouvert », ce qui permet aux détenus de circuler plus librement, mais d'une cellule à une autre, seulement. L'extérieur reste inaccessible. Mais c'est déjà ça… On peut se croiser, se rencontrer, même si ce n'est pas encore l'idéal. « Le plus dur, c'est de ne pouvoir échanger avec personne. Vous savez, ici, le niveau culturel est assez bas. Nous sommes environs 550 détenus. Le nombre de « vrais » lecteurs, eh bien… il est assez limité. Et pour être francs, vous avez les seuls devant vous aujourd'hui. Les autres nous traitent d'intellos parce qu'on a décidé de venir vous voir ! » nous lâche Pascal en souriant. Mais on sent l'amertume et la frustration. L'une des animatrices nous a d'ailleurs informés que certains détenus avaient demandé si participer à cette rencontre allait jouer en leur faveur pour une éventuelle remise de peine… On voit là tout l'intérêt porté aux choses de l'esprit… Mais ceux qui sont là sont bien là. Et on voudrait pouvoir leur apporter davantage…
« Merci beaucoup pour ces deux heures. Vous savez, pour nous, les livres, c'est l'évasion. C'est notre seul moyen de nous échapper un peu», me glisse toujours Pascal, d'un œil complice. J'ai ma réponse. Escape n'était pas une provocation. Juste un moyen d'oublier un peu un quotidien sclérosant.
« Et vous, est-ce que vous écrivez ? »
La question me brûlait les lèvres depuis quelques minutes. Ils lisent, ils ont un regard critique intéressant, ils s'expriment bien, ils ont des choses à dire et du temps à revendre. Personne n'a le monopole de la plume. L'isolement est souvent un besoin chez les auteurs. Ici, ils en disposent plus que de besoin. Alors pourquoi pas l'écriture ?
« Moi oui, j'aime écrire. Des lettres d'amour à ma femme. Des paroles de chanson »
« En m’inscrivant à un atelier d’écriture thérapeutique, je me suis aperçu que j’avais, disons… des facilités. Et j’aime ça. »
La littérature se niche où elle veut. Qui sait si un jour nous ne lirons pas un opus de l’un ou l’autre, allez savoir… Ce qui est certain, c’est qu’ils ont beaucoup à nous raconter. Et je serais probablement l’une de leurs premières lectrices !
Deux heures ont filé comme une étoile dans la nuit. Une étoile éclairante, dans un sens comme dans l’autre, je l’espère. Un beau moment d’échange entre deux mondes pas si différents, au fond. Le dehors et le dedans se sont rejoints dans un espace-temps différencié. Et chacun est reparti dans son espace en gardant en mémoire un temps de bonheur pur.
Merci aux deux Pascal et Dominique, merci à nos animatrices SPIP pour leur enthousiasme et leur initiative. On ne soigne pas le mal en le coupant de tout ; il faut apprendre à le comprendre et à lui donner l’envie et les moyens de rejoindre la lumière – ou au moins un peu plus de clarté. La culture est un biais salvateur ; la porter au plus grand nombre est une tâche ardue mais peut-être l’effort mérite-t-il d’être tenté.
« Pour ceux qui viendront après nous… », conclut Pascal. « Il faut que les gamins aient d’autres repères que ceux de la prison. Sinon, ils y retourneront toujours. Parce qu’il n’y a plus que là qu’ils se sentent chez eux au final. »
Leur apporter un peu d’espoir en leur offrant une alternative… c’est peut-être là l’une des missions de la littérature. Un roman, ce n’est rien ; mais c’est beaucoup, quand même : quelques heures de liberté, des rues, des paysages à retrouver ou à découvrir, des mots dont on cherche le sens, un horizon hors les murs, des rencontres… C’est une façon de préparer le retour au dehors. Pour le meilleur…
Marie Compagne, le 25 juillet 2017