2011-2014

Valenciennes,  9 décembre 2014, Sylvie Bocquet, Béatrice Rouer

Béatrice est venue me prendre à la maison, puis, nous avons roulé tranquillement vers notre destination.Il est 13h25 quand Béatrice gare la voiture devant la prison de Valenciennes. Nous avons profité du trajet pour faire connaissance. C’est ma première intervention en milieu pénitentiaire. Pour Béatrice, c’est la deuxième fois. Cela me rassure.La référente est surprise de nous voir arriver si tôt. L’accueil est chaleureux, On nous offre un café dans le bureau, en attendant la rencontre.

14h. C’est enfin l’heure ! Nous traversons la cour pour rejoindre le bâtiment des détenus. La rencontre a lieu dans le quartier des hommes. J’enlève ma ceinture, mes pinces à cheveux pour passer le portique de sécurité. A ma grande surprise il sonne. C’est à cause des lunettes qui sont dans la poche de mon manteau. Béatrice et moi suivons notre guide. Pour arriver à la bibliothèque, il faut passer de nombreuses grilles, monter des escaliers, passer dans des sas, attendre devant des portes vitrées.C’est dans l’aile droite du quartier des hommes que Béatrice et moi attendons les détenus inscrits à cette activité. L’atmosphère est détendue, les gardiens ou les prisonniers qui nous croisent, n’hésitent pas à nous saluer.

C’est au sein de la bibliothèque que se tient notre rencontre avec treize détenus, des hommes entre 18 et 60 ans environ. Nous sommes enfermées avec eux, on viendra nous ouvrir une heure plus tard. En cas d’urgence, on peut toujours sonner sur une alarme et de toute façon, il y a une caméra.Après nous être présentées, les questions fusent

Comment écrivez-vous ? Combien de temps faut-il pour écrire un livre ? A quel moment de la journée êtes-vous le plus inspirées ?

 Certains posent beaucoup de questions, d’autres sont très silencieux.Nous échangeons ensuite sur nos lectures, quelques-uns se confient « j’ai commencé à écrire depuis que je suis en prison »,  « pensez vous que je vais trouver un éditeur ? » La fin de la séance approche et je propose de lire deux extraits de mon dernier roman. Béatrice quant à elle, choisit de conter une de ses histoires. Elle est chaleureusement applaudie.Il est l’heure, le surveillant a ouvert la porte et c’est le moment, pour les détenus de regagner leur cellule. Avant de quitter la salle, chacun des participants vient nous serrer la main et nous remercier.Nous regagnons la sortie, avec un peu de difficultés pour nous orienter.

Le retour vers Lille nous apparaît plus court qu’à l’aller. Cette intervention en milieu pénitentiaire, nous a rapprochées et l’expérience fut enrichissante. Nous nous reverrons, nous en sommes sûres

 

Centre pénitentiaire de Maubeuge – 27 novembre 2014 – Thierry Moral, Thérèse Ruffault

Nous nous étions donné rendez-vous à 13h40. Signes distinctifs : une voiture rouge brique et une bleue électrique. Je manque une indication en épingle à cheveux, mais arrive tout de même à temps. Garé juste devant le véhicule de Thérèse. À bon port, sans attache. Nous franchissons le portail sans trop d'encombres. Thérèse a droit à un passage au détecteur de métaux manuel. C'est bon, le gardien la laisse passer. Quelques portes plus tard, nous longeons un long couloir étroit, puis bifurquons vers un escalier tournant. Nous voici arrivés dans la bibliothèque bien fournie et lumineuse. À travers la fenêtre, nous distinguons le brumeux horizon, bordé de fils barbelés.

Nous sommes installés à notre table, deux par deux. Thérèse et George Sand. Moi-même et Fred Loram. Deux femmes et deux hommes aux caractères bien trempés. Deux individus en marge, chacun à leur manière. Les détenus arrivent. Onze inscrits, sept présents. Les sourires sont avenants. Les poignées de mains franches. Les prises de paroles se font timides, puis peu à peu plus franches. Les questions bourgeonnent, se croisent, fusent. La rencontre prend vie.

La vie de George Sand interroge et interpelle. Les doutes s'estompent dès la lecture du premier poème. La voix chaude et claire de Thérèse pose le caractère fort de la grande dame. La découverte de l'ouvrage, au fil des poèmes s'écoule doucement, mais sûrement. L'attention est forte, l'écoute et l'attente des poèmes se font sentir. Le parcours de cette femme est chargé de projections, sans doute, comment savoir… mais ce qui est certain, c'est que les détenus vont le lire. Le parcours de Fred Loram entraîne des hochements de têtes, des pincements de lèvres, des froncements de sourcils, qui peu à peu mutent en sourires, puis en rires. Entre quatre yeux, d'auteur à auditeur, l'histoire se transmet. On enchaîne par une brève présentation de « Phare intérieur ». L'histoire d'un enfant qui aime être enfermé ne laisse pas indifférent, une fois de plus. La lecture de la nouvelle ouvrira sans doute d'autres réflexions…

Nous repartons le sourire aux lèvres. Une rencontre brève, concise et authentique. George et Fred étaient faits pour se rencontrer. C'est la prison qui les a réunis.

 Bapaume, 05 novembre 2014

Nous sommes dans la bibliothèque, « le seul endroit de la prison qui nous la fasse oublier », me dit-on. Ils sont une douzaine à s’être réparti les sièges disposés en demi-cercle autour de nous deux, Christelle Descamps et votre serviteur. Avant même que nous nous présentions, les questions fusent. Manifestement, nous avons à faire à des lecteurs assidus, curieux comme de coutume de connaître notre parcours, ce qui nous a poussés à écrire et ce qui nous motive encore.

-  Est-ce difficile d’écrire ?

-  C’est selon. Cela demande d’être exigeant envers soi-même et d’y consacrer beaucoup de temps …

-  Combien de temps faut-il pour écrire un livre ?

-  C’est selon. Cela dépend de la pagination, de la documentation, de l’âge du capitaine…

-  Dans quelles conditions écrivez-vous ?

-  C’est selon. Chez moi, dans un café, dans le train, jamais en voiture surtout lorsque je suis au volant !

-  Etes-vous gêné par le bruit ?

-  C’est selon. Les bruits diffus ne me dérangent pas, mais la musique "boum-boum" me rend fou ! Le pire c’est le marteau-piqueur !

-  Quelles sont vos lectures ?

-  C’est selon. Rarement contemporaines, souvent en rapport avec les siècles que nous fréquentons. Nous lisons "utile"…

-  Comment s’y prend-t-on pour être édité ?

-  C’est selon. Des romans régionaux s’éditent plus facilement en faisant appel à des éditeurs régionaux, la littérature générale, c’est plus difficile…

-  Cette activité est-elle lucrative ?

-  C’est selon. En ce qui nous concerne, elle ne l’est pas ! Sur les deux cent-cinquante auteurs qui sévissent dans notre région, on peut compter sur les doigts d’une seule main ceux qui en vivent…

-  Que pensez-vous du livre de Valérie ?

-  Paul ?

Mon interlocuteur se tortille sur son siège, sentant venir le piège.

-  Euh, non, l’ex du président !

-  C’est selon. De sa prose, il n’y a pas grand-chose à dire, mais c’est tant mieux pour l’éditeur qui pourra investir ses bénéfices en prenant des risques sur de nouveaux auteurs, de talent, ceux-là…

-  Combien de livres avez-vous écrit ?

-  C’est selon. Si on compte ceux qui sont édités, pour Christelle, deux, et pour moi, trois. Christelle a un manuscrit en attente d’édition, et moi deux.

La bibliothèque du centre de détention avait en sa possession un résumé des deux tomes de sa Saga solarienne. Heureuse initiative du bibliothécaire qui permit à plusieurs détenus de se familiariser avec l’œuvre de Christelle avant de la lire intégralement après notre passage.

-  J’ai lu le premier chapitre. Je ne serais pas étonné d’apprendre que vous ayez un rapport très proche avec la nature. Seriez-vous fille d’agriculteur ?

Christelle acquiesce. Elle est étonnée de tant de perspicacité.

Elle lit ce premier chapitre. Son univers est celui des Temps futurs, le mien, celui du passé. Notre point commun : l’utopie d’un monde idéal.

-  Lisez nos ouvrages, vous serez alors à même de méditer sur ces sociétés chimériques … en forme de promesses électorales !

Les franches et cordiales poignées de mains qui concluent notre "intervention en milieu carcéral" sont autant de satisfecit délivrés par toute l’assemblée.

Jean-François ZIMMERMANN

Bapaume  - 04 novembre 2014  

Aujourd’hui est un jour important pour moi : je vais faire me première intervention en milieu pénitentiaire. Heureusement, j’ai été bien « préparée » par Brigitte Cassette au téléphone et par Thierry Moral qui m’accompagne.

À l’entrée, mon cœur bat un peu vite ; il s’accélère quand le portique se met à couiner. J’ôte lunettes, montre… il s’obstine ! Situation qui peut paraître cocasse à l’aéroport, mais devient stressante dans un tel lieu. La gardienne passe un appareil dans mon dos, conclut que la responsable est l’attache de mon soutien-gorge et nous laisse entrer. Une grille claque dans notre dos… la première d’une longue série et un bruit auquel, à mon avis, on ne doit jamais s’habituer !La SPIP, une jeune femme charmante, nous rejoint et nous guide : couloir, grille, couloir, grille… je perds le peu de sens de l’orientation dont la nature m’a dotée !

Nous voici enfin à la bibliothèque du quartier des femmes. Des livres, plein de livres : je retrouve mes repères. À part les barreaux aux fenêtres, c’est une bibliothèque comme les autres. La SPIP confie une alarme à Thierry et nous laisse face à 3 jeunes détenues et à la bibliothécaire. Nous nous asseyons autour d’une table et faisons connaissance. Thierry présente en quelques mots l’ADAN. Je prends la parole pour dire qui je suis et comment j’en suis venue à l’écriture. Puis c’est le tour de Thierry. Les jeunes femmes se montrent intéressées et les questions, pertinentes, fusent. Puis je parle de mon intérêt pour George Sand et de la façon dont j’ai écrit mon recueil de poèmes. Elles ne connaissent pas George Sand, mais l’image de cette femme libre, qui a tant fait pour la cause des femmes, semble leur plaire. Thierry présente son Fred Loram. L’anarchisme, le refus du système sont des thèmes qui « parlent » aux jeunes femmes : leurs questions, leurs réactions le prouvent ! Je lis des poèmes, Thierry des extraits de son roman mais aussi d’une nouvelle : Phare intérieur. Nous remarquons alors que l’enfermement est un thème récurent dans son travail, tout comme la maternité l’est dans le mien. Notre débat devient une conversation à bâtons rompus. Nous expliquons aussi le rôle de l’éditeur dans la chaîne des métiers du livre.

Quand la SPIP vient nous chercher, nous sommes surpris de la vitesse avec laquelle le temps a passé ! Nous laissons des exemplaires de nos livres et nos interlocutrices veulent les emporter aussitôt dans leur cellule (une belle récompense pour nous deux !). La bibliothécaire leur rappelle qu’elle doit d’abord les enregistrer, ce qu’elle fait immédiatement.Les détenues nous remercient avec chaleur et partent, nos livres sous le bras et nous, nous quittons le centre pénitentiaire, riches d’une expérience humaine à aucune autre pareille !

Thérèse Ruffaul

Longuenesse 16 octobre 2014 

Après avoir traversé le labyrinthe qui mène aux "œuvres vives" de ce vaste ensemble pénitentiaire  et parcouru le long couloir aux murs décorés de tableaux, véritables fenêtres ouvertes vers le dehors,  brossés par des détenus "de passage", nous pénétrons, Brigitte Cassette, ma complice de plume pour cette occasion, et moi-même dans la bibliothèque, calme, reposante et bien tenue.

-  Nous nous connaissons ! s’exclame, à mon endroit, le bibliothécaire.

Brigitte Cassette ne peut masquer sa surprise. Afin de dissiper le mystère, l’homme ajoute :

-  Sequedin, nous nous sommes vus l’an dernier. Vous aviez présenté « L’apothicaire de la rue de Grenelle ». Je vous avais dit que ce roman m’évoquait l’Œuvre au Noir de Marguerite Yourcenar.

Les livres sont sa passion. Passion qu’il sait transmettre aux abonnés de son refuge, il n’est que d’ouïr les compliments que ces "messieurs" lui adressent pour en être convaincu. Car c’est ainsi qu’il s’adresse à eux :

-  Monsieur, j’espère que ce livre vous a plu ?

-  J’ai mis deux jours à le lire.

Il se tourne alors vers nous :

-  Deux jours, c’est un exploit ! estime-t-il en considérant mon pavé de l’œil du connaisseur en matière d’épaisseur et de pagination. Sachez que lire en prison relève parfois du sacerdoce. À cause du bruit, de la télé qui braille et de la chaine hifi qui hurle, il faut utiliser des boules Quies. Moi, j’ai de la chance, je suis seul à occuper ma chambre, mais la règle, c’est plutôt à trois dans six mètres carré. Je n’aime pas le mot "cellule", d’ailleurs j’ai masqué les barreaux des fenêtres au moyen de rideaux.

Ils sont près d’une dizaine à s’installer autour de la table. Le meneur des débats, notre bibliothécaire, agit en maître des cérémonies. Sont disposés à discrétion sur la table biscuits de toute sorte et café qu’il nous recommande particulièrement car il veillé personnellement à sa qualité. Plusieurs d’entre eux ont lu L’ombre de Dieu. Je lis un passage, échange de lettres d’amour entre mes deux principaux personnages.

-  Mais de nos jours encore, en prison, nous, on écrit des lettres comme celles-là à notre bien-aimée ! intervient F., tout ému.

Le bibliothécaire me confie que bien souvent ces pages sont arrachées par les détenus qui les recopient pour les adresser à leur femme ou à leur compagne. Ils rient.

Tout au long des deux heures que dure notre intervention, notre animateur dirige les débats avec art, tact et courtoisie tout en la ponctuant avec à-propos de citations de philosophes grecs. Serait-il un compromis entre Pivot, Busnel et Elkabbach - je veux parler du "Elkabbach" de Bibliothèque Médicis – que j’exagérerais à peine.

Brigitte Cassette présente et lit un extrait de la Croisière de Monsieur Dubagout, bien étrange croisière que celle à laquelle sera invité le héros éponyme de cet ouvrage.  Le silence recueilli dans lequel se plongent nos auditeurs à cette lecture prouve tout l’intérêt qu’ils y trouvent.

Avant que nous nous quittions, F. tient à nous confier qu’il a « sacrifié sa séance de judo pour être présent ici, et qu’il ne regrettait pas, bien au contraire ! »

Jean-François Zimmermann

Douai - 17 octobre 2014 - Thierry Moral

Lorsque je gare ma voiture devant la longue et impressionnante bâtisse du centre pénitentiaire de Douai, je lâche malgré moi : « Ah ouais, quand même ! ». Fred Loram*, qui m'accompagne, me tapote sur l'épaule droite et marmonne : « Pas envie d'y aller, ça me rappelle trop St Brieuc ». J'essaie de le convaincre, mais c'est un anarchiste anti-productiviste et jusqu'au-boutiste. Quand il dit non, c'est non.

Lorsque j'arrive à l'accueil du centre pénitentiaire, le gardien me dit que je suis attendu. Je passe le portail très rapidement, puis Céline vient m'accueillir. Souriante, enjouée, motivée et énergique. Comme nous avons le temps, elle me propose un petit café. Très vite, elle m'avoue avoir eu un « coup de cœur littéraire pour Fred Loram ». J'accuse le coup, avec un sourire béat (on se sent souvent un peu con quand on est flatté) tout en me disant : « Heureusement que Fred est resté dans la bagnole... » Elle me parle du livre, son ressenti, faisant bien la part des choses entre ce qui est vrai et inventé. Ça fait vraiment chaud au cœur d'entendre de vive voix un tel éloge.

C'est l'heure. Je passe par les toilettes exigües. Un surveillant me lance en riant « Va falloir prendre un ticket ici ! ». Nous traversons le couloir aux murs vieillots, usés, aux courbes voûtées, franchissons quelques vieilles grilles qui en auraient à raconter si elles pouvaient parler... Certains détenus préfèrent ce genre d'établissement aux plus modernes. Je comprends. Fred ne serait pas de mon avis j'imagine. Il s'oppose à tout ou presque. C'est un principe. Arrivés dans une rotonde qui offre plusieurs accès, des gardes joueurs nous ouvrent la bonne porte. Nous nous installons dans une salle lumineuse qui résonne, installons les chaises, une table et attendons les détenus.

Nous sommes une petite dizaine en tout. J'ai une heure et demie devant moi pour présenter deux ouvrages, plus éventuellement un petit bonus. Les auditeurs sont détendus, souriants, certains sur la réserve, mais c'est normal. Ils tendent l'oreille car l'acoustique est un peu rude, mais après le premier extrait de mon deuxième roman Fred Loram, je vois qu'ils ont voyagé. Les langues se délient.  « Je suis sûr que Fred va aller cogner les skins » lance un détenu après la lecture d'un extrait mouvementé « Mais non, il est pas con » lui répond son voisin. Un débat s'anime sur l'anarchisme, le refus du système, etc... Céline rassure les auditeurs sur le fait qu'aucune personne travaillant au SPIP ne se comporterait comme le fait Ségolène, l'assistante sociale atypique qui apparaît dans le roman. On poursuit avec le sourire. Les questions sont précises. Entre deux lectures, quelques détenus prennent le livre en main, le palpent, le feuillettent, quand ils le déposent sur la table ils me disent : « Celui-là, je vais le lire ».

Présentation et lecture plus courte de Phare Intérieur, nouvelle à dire à voix haute. Les poètes en herbe relèvent le phrasé sonore, oral et imagé. « S'il n'y a pas de poésie, je ne voyage pas. » Peu à peu, la confiance s'installe. « Vous êtes romancier, mais un peu poète quand même aussi. » J'acquiesce et enchaîne sur Kijno tout simplement, ouvrage poétique sur l'œuvre du peintre Ladislas Kijno. Le passé dans le bassin minier pique la curiosité des auditeurs. Je leur fais la lecture d'un texte. Ils en profitent pleinement. Deux auditeurs ont ramené leurs poèmes. Ils me les offrent. Je les lis, puis réagis à chaud. Un vieux monsieur, taiseux depuis le début, prend l'ouvrage poétique et me dit : « Celui-là, je vais le lire ».

Nous nous quittons en poignées de mains sincères et en regards joyeux. Nous avons tous passé un bon moment. Céline a été une guide remarquable. Je sors de l'établissement et rejoins ma voiture, tout content de pouvoir partager cette belle expérience avec Fred. Mon véhicule est vide, évidemment. Il va vraiment falloir que je m'habitue au fait que Fred Loram n'existe pas. Normal, c'est un personnage de fiction, mais il paraît pourtant parfois si réel...

*Fred Loram est le héros de mon roman éponyme

 

Sequedin - 6 octobre 2014 J.F Zimmermann, M.C George

J’ai l’impression d’être devenu un habitué du centre de détention de Sequedin. En effet, c’est la troisième fois que je passe sous le portique qui, malgré le respect des consignes, s’obstine toujours à couiner. Le dédale des courettes et des couloirs ne s’est pas inscrit dans ma mémoire, mon GPS biologique a grand besoin d’être réinitialisé ! Marie-Claire George m’accompagne. Elle aussi a cessé d’être impressionnée par les barreaux, elle "récidive" pour la cinquième fois.

Une dizaine de détenus nous attendent dans la bibliothèque. La SPIP, Céline Vereecke, confiante, quitte la pièce et nous laisse seuls en face-à-face avec ces messieurs. Ils ont lu, pour la plupart, nos ouvrages et ne sont pas venus pour passer le temps, mais bien pour débattre et satisfaire à leur légitime curiosité. Mais ils se racontent autant que nous nous racontons et les échanges sont riches. Outre son recueil de nouvelles, « Tout près, sous l’autre rive », Marie-Claire George présente son ouvrage « L’ombre d’Auriel ». La lecture du prologue, longue lettre émouvante, suscite chez nos auditeurs un certain trouble et provoque des évocations personnelles.  Quant à moi, lecture est faite d’un passage concernant l’univers des galères issu de mon ouvrage « L’apothicaire de la rue de Grenelle », « autrement plus traumatisant que celui de Sequedin » en conviennent-ils. L’un des détenus nous confie avoir fait partie d’un atelier d’écriture à Clairvaux, à la fois prison et abbaye cistercienne, d’où parait-il tout le monde cherche à s’échapper au moins deux ou trois fois. Il a présenté des textes qui malgré les réticences du directeur ont été lus et qui avaient pour titre : « Tentatives d’évasion ». Il en rit encore.

Enfin, en forme d’épilogue, avant de regagner sa cellule, l’un de nos attentionnés détenus n’a pu s’empêcher de brocarder l’un des gardiens en lui lançant, goguenard : « Tu t’es peut-être emmerdé cet après-midi, mais moi, j’ai passé un bon moment ! ». Il ne pouvait mieux nous remercier !

Jean-François Zimmermann

 Valenciennes -  José Herbert, Brigitte Cassette

Mardi 23 septembre 2014. La maison d’arrêt de Valenciennes est dans la ville. A ses pieds coulent la circulation automobile animée d’une artère entrante, les déplacements des jeunes qui fréquentent le proche établissement scolaire, les allées et venues des chalands vaquant dans ce quartier commerçant. Après les protocoles de sécurité d’usage, nous, Brigitte Cassette et José Herbert, fûmes, par monts et par vaux, pardon, par grilles solides et couloirs indéfinissables, introduits dans le cœur du bâtiment, les rangées de cellules des détenus.  Sur deux étages, avec rambarde pour le supérieur, s’alignaient les portes massives, dont certaines ouvertes, devant lesquelles quelques détenus attendaient. Notre curiosité nous força à jeter un coup d’œil aux intérieurs. Deux lits superposés, une table, quelques bricoles, le tout dans 9 mètres carrés. Quand je pense que certaines cellules de prison désaffectées sont proposées comme chambres d’hôtel ! Mon Dieu ! Dans quel monde on vit !

Ensuite, toujours par monts et par vaux, par trousseaux de clés et portiques hurlants, nous parvînmes à la bibliothèque, agréable comme une bibliothèque, sauf que le ciel du dehors y est absent, car occulté. On ne sait pas que le soleil brille, que l’automne, puisque c’est son premier jour, a montré le bout de son nez. Les détenus, treize au total, arrivent nonchalamment, pourquoi seraient-ils pressés ? et s’installent devant notre table, en cercle. Convivialité, ambiance bon enfant, sourires, poignées de mains, curiosité. C’est vous les écrivains ?

La professeure (c’est comme ça que l’on dit ?) des écoles, qui assure au sein de l’établissement le côté lecture écriture, est présente avec nous. Enfin, c’est parti ! Brigitte se lance, parle du métier d’écrivain, parle des différents types d’écrits, de sa passion pour l’écriture, de ses romans. José enchaîne, traite des questions matérielles, les droits d’auteur (Ah ! Vous ne vous enrichissez pas avec vos bouquins ?), les difficultés de se faire éditer, le peu d’intérêt de nos concitoyens pour la lecture. Les questions fusent, nos interlocuteurs sont très intéressés et nous sommes, non pas surpris car à chaque fois c’est comme ça, mais enchantés par la pertinence de leurs questions. Les contenus de nos bouquins sont évoqués. Nous lisons un extrait. Applaudissements chaleureux du public en délire.

En somme, beaucoup de respect, de politesse, de sourires, d’empathie même, de la part de ces « cassés de la vie », et pour nous, des moments riches d’enseignements, et le sentiment d’avoir fait « une bonne action ».

Annœullin - 4 Août 2014 - Brigitte Cassette, Wilfried Salomé

Après avoir passés un sas de sécurité digne d'un aéroport en alerte rouge du plan vigipirate, accompagnés et guidés par Thiefaine (notre référente, pas le chanteur), nous franchissons un nombre impressionnant de grilles, et je commence à avoir la gorge sèche. Un peu plus et je vais avoir une crise de claustrophobie. Les murs ont beau être jaune et rouge, les bâtiments ont beau être propres, nets, leur blancheur immaculée dépressive me file l'angoisse. Alors que nous sommes bloqués entre deux sas, attendant que les gardiens se décident à venir nous ouvrir, j'essaie de n'en rien laisser paraître. En tentant frénétiquement d'ouvrir la porte des toilettes pour m'y réfugier et boire une bonne lampée d'eau du robinet. Mais la porte, verrouillée, me résiste. Comme me le fait alors remarquer Brigitte " je n'ai pas encore l'esprit prison". En effet ici (et comme me le confirmera par la suite un détenu) tout est anti-naturel. Le moindre geste quotidien, pour nous "gens du dehors" est ici soumis à autorisation et accompagnement.

Nous traversons ensuite (et encore) de longs couloirs, rejoints par le formateur qui s'occupe de créer avec les détenus une chaîne de télévision interne au centre, pour arriver dans la salle proprement dite, où se déroulera notre intervention. Brigitte, habituée à l'exercice, discute avec le formateur, pendant que j'inspecte l'estrade sur laquelle nous nous tiendrons. Nous faisons les essais, check check, un deux, un deux. De miraculeuses bouteilles d'eau minérale font leur apparition. Tout roule. Le public peut arriver.           

Ce qui me marque en premier lieu et la politesse presque surfaite des détenus. Un par un, comme ayant bien appris leur leçon, ils viennent nous serrer la main. Ils sont une quinzaine, entre, disons, à vu de rides, 25 et 60 ans. Nous avons été prévenus, aujourd'hui l'intervention sera un peu particulière, puisqu'elle sera filmée dans son intégralité, pour la chaîne interne aux prisons de la région. Nous commençons donc par une interview. A tour de rôle nous répondons aux questions que le présentateur/prisonnier à préparé sur une simple feuille de palier A4. Elles sont naïves, touchantes. Les bonnes intentions et l'envie de bien faire de l'interviewer sont palpables. Comme Brigitte, je m'efforce donc de ne pas décevoir, de tenir le personnage, tout en débordant cependant du cadre lorsque cela m'est possible, afin de désacraliser. De créer du lien. C'est ce qui m'intéresse, c'est pour cela que je suis venu, que j'ai eu envie de faire cette expérience.

Après l'interview, s'ensuit la lecture proprement dite, puis un débat. En tant que novice, je suis là pour apprendre, prendre des notes sur la manière de faire. Je laisse donc Brigitte le mener. J'observe les visages, je scrute les réactions. Puis j'attends les questions, qui ne tardent pas à venir. Etonnamment, une fois dans le bain, je ne suis plus mal à l'aise. J'ai en face de moi des types avec qui j'aurais très bien pu discuter au bistrot, autour d'un verre ou d'un café. L'un nous parle des peintures qu'il réalise dans sa cellule. Un autre qu'il lui arrive de relater, de coucher ses pensées sur le papier. Un détenu, particulièrement, nous affirme que la lecture, la philosophie, et même l'écriture, le maintient en forme, lui permet non seulement de résister à la privation de liberté, mais de garder son esprit en place. De s'évader. S'évader. Le verbe, ici, prend une lourdeur toute particulière, voyez. Nous parlons de la faille, de la rupture, de la douleur. Cette douleur bien souvent à l'origine de la nécessité de l'acte créateur. La fêlure, bien sûr, voilà qui fait écho à l'expérience de vie de ces hommes. Je ne sais pas les actes délictueux qu'ils ont commis, et je ne veux pas le savoir. Sincèrement. L'important est d'établir un contact avec le présent, une empathie qui ne soit pas à sens unique. Qu'ils nous apprennent autant que nous leur apprenons. Brigitte et moi nous livrons donc sur nos propres doutes, nos peines, en insistant, évidemment, sur la face lumineuse, salvatrice, de l'art en tant que vecteur de connaissance et d'émancipation personnelle. Oublier le passé, le scanner à l'aune d'une nouvelle lumière, celle de la connaissance de soi apportée par l'art littéraire. Voilà le "message", si message il y a.

Wilfried Salomé. 24 Août 2014.

Sequedin, quartier des femmes, Thierry Moral, Jean-François Zimmermann, 24 juillet 2014.

-  Alors, comment cela s’est-il passé ? m’a-t-on demandé à mon retour de la maison d’arrêt de Sequedin.Bien, bien, ai-je répondu. Les vingt et quelques détenues qui assistaient à notre « show », celui de Thierry Moral et de moi-même, ont été bien sages et attentives !Il faut dire que le public, en milieu carcéral, l’est toujours, attentif. Ceux qui viennent du dehors traînent avec eux les fragrances de la liberté qui rafraîchissent ceux du dedans.

 Après nous avoir présentés, Laetitia Cossart, membre du service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP pour les initiés), nous laisse la parole.À première vue, cette assemblée tient à la fois du pensionnat de jeunes filles, de la colonie de vacances et d’une réunion Tupperware. À première vue seulement, car on discerne au bout de quelques instants les tensions internes générées par la promiscuité inévitable propre à ce séjour forcé, et cet espèce de décalage indéfinissable qui existe entre nous et le peuple encerclé.

 Thierry Moral choisit de s’appuyer sur son livre Fred Loram pour lancer le débat. De sa voix de conteur, colorée d’images et frémissante d’inflexions poétiques, il provoque à volonté rires et exclamations à la lecture d’un passage de son ouvrage.

Avant même que nous évoquions notre univers d’écrivain, nous avions deviné parmi ces femmes celles qui étaient venues pour se distraire un moment de leur quotidien répété à l’identique et les autres, lectrices assidues, curieuses de voir cet animal étrange qui se cache entre les pages de son livre et que l’on nomme écrivain.L’une d’entre elles a entrepris d’écrire son autobiographie. Elle nous demande des conseils car elle compte bien présenter son manuscrit aux éditeurs, mais elle éprouve des craintes quant à la cohérence de son récit et la rigueur de son orthographe. Apparemment, elle a surtout des comptes à régler avec sa mère. « Peut-être comprendra-t-elle enfin, que si je suis ici… », nous confie-t-elle.

 Ces interventions en milieu pénitentiaire – la sixième en ce qui me concerne – sont toujours aussi différentes les unes que les autres.Avons-nous atteint notre but, celui de provoquer le désir ou le besoin de lire ? On peut le penser si l’on se réfère à l’assaut subi par leur bibliothécaire pour se placer en tête de la liste d’attente de prêt de nos ouvrages. L’auteur ne rendra jamais suffisamment grâce à son ami lecteur pour le regard complice que ce dernier portera sur son texte.

 

 

 

 

 

 

 

Bapaume,  28 juin 2014 – Marie-Claire George

Une journée comme les autres. Non, pas comme les autres puisque c’était la date prévue pour une rencontre avec les détenus du centre de détention de Bapaume. Donc une journée importante, une journée qui marque, je m’en doutais puisque c’est la quatrième fois que je franchis les murs d’une prison.

Cette fois encore, je suis venue parler de mon roman, « L’ombre d’Auriel », dont j’avais envoyé deux exemplaires pour la bibliothèque. Ces hommes l’auront-ils lu ? Et alors, l’auront-ils aimé ? C’est que, à mon avis, ce roman est plutôt « féminin » : le personnage central est une femme, et c’est essentiellement une histoire d’amour, ou d’amours. Mais oui, deux d’entre eux l’ont déjà lu et tous les deux l’ont aimé ! Ils se sont attachés aux personnages dont la vie est  chamboulée et à laquelle ils doivent chercher un nouveau sens, peut-être parce que c’est aussi leur cas ? Tous les huit, ils ont posé des questions, beaucoup : est-ce une histoire vraie ? D’où l’idée vous est-elle venue ? Comment faites-vous pour savoir ? Ce que j’aime, c’est ceci, c’est cela. Vous allez en écrire un autre ? Vous savez déjà le titre ? Vous pourriez imaginer que… Et voilà qu’ils me donnent des idées pour mon prochain roman !

Et on glisse parfois vers un registre plus personnel : Cet endroit dont vous parlez, je le connais bien, c’est dans le 18ième ! Ou : Moi aussi j’écris, des poèmes, des nouvelles, je vais vous en raconter une. Comment s’y prendre pour les faire publier ? Vous comprenez, ce serait surtout pour ma famille. Ou encore : Moi, votre livre, je le lirai plus tard. Pour le moment, je n’ai de goût à rien. Vous savez, ici en prison, c’est comme ça, on perd le goût de tout, on n’arrive même plus à suivre un film. Mais ça reviendra.

À la fin, on se serre la main. J’aimerais vous poser encore une question, dit un de mes nouveaux fans avant de regagner sa cellule : pourquoi est-ce que vous, un auteur, vous venez nous voir ici ? Parce que j’aime bien, parce que chaque fois nous avons des discussions intéressantes… Il n’en revenait pas. C’est pour cela, surtout, que ces rencontres sont si importantes pour eux, pour moi : les grilles se sont effacées l’espace de deux heures, les préjugés sont tombés et chacun s’est enrichi de la présence de l’autre

 

 

 

 

 

 

Sequedin 12 mai 2014 - Marie-Claire George

« Il nous reste six jours ». Pas une semaine, non, six jours, ils en sont presque à décompter les heures. Voilà qui en dit long sur la hâte des détenus à quitter le CNE où ils passent six semaines dans l’espoir d’une remise de peine ou d’une libération conditionnelle. La situation leur pèse : l’enfermement, la lumière qui empêche de dormir, le déclic incessant des verrous et le claquement des grilles, jour et nuit. Et puis, rien à faire : ils ont laissé leur travail ou leurs études dans la prison où ils purgent leur peine, souvent bien loin, en Alsace, à Lyon, à Marseille, trop loin d’ici pour recevoir la visite de leurs familles. Est-ce cela qui les a fait répondre nombreux à notre invitation ? Ils étaient huit ce lundi, venus à notre rencontre et à celle de nos personnages. Des hommes comme nous, avec une famille, un chez eux, des idées, des envies, mais qui resteront là quand nous, nous partirons.

Thierry Moral avait emmené « Fred Loram » (son alter ego ?) et moi, « L’ombre d’Auriel ». Honneur aux dames, et je suis la seule de l’assemblée, c’est donc la première page de mon roman qu’ils ont d’abord écoutée. Bingo ! C’était gagné. Leur attention n’était pas un intérêt de commande et les questions ont fusé dans tous les sens : c’est une histoire vraie ? Qu’est-ce qui va arriver ? Non, ne dites rien, je vais le lire. Comment vous êtes-vous documentée ? Vous écrivez à la main ? Combien de temps pour faire ce livre ? Au travers de ces questions, c’est aussi une part d’eux-mêmes qu’ils révèlent : leurs origines, leur famille, et « leur âme qu’ils portent sur le dos ». Et puis c’est le tour de Thierry. Nouvelle lecture, autre ambiance, autre ton, et ils y sont sensibles. Nos histoires, nos personnages sont différents mais ils leur trouvent des points d’accroche, peut-être parce que l’un et l’autre leur parlent, les touchent par des aspirations qui rejoignent les leurs : vivre une vie juste, « normale », au travers des aléas et des erreurs humaines qu’il faut toujours assumer.

            - Quand je sortirai, j’irai vous dire bonjour avec ma femme et mes enfants. En attendant, on va boire un pot tous ensemble sur la place. C’est toi qui as la clef ?

On se serre la main, avec chaleur. Chacun repart plus riche : eux, d’avoir donné un regard profond sur nos romans et même sur les auteurs que nous sommes, et nous, d’avoir reçu une leçon de ces hommes qui refusent de mettre leur esprit en prison.

 

 

 

 

 

 

 

Sequedin - 5 décembre 2013 - J. Wouters

 

 

 

Plus de deux mois après, que reste-t-il de la rencontre du 5 décembre 2013 à la maison d’arrêt de Sequedin entre quelques détenues, Brigitte Cassette et moi-même ?

Le portique devant lequel il a fallu laisser chaussures et épingles à chignon ?... C'est  le prix habituel pour accéder aux avions qui emmènent dans les pays lointains, et, d’une certaine façon, franchir les portes d’une prison, c’est atterrir dans un autre monde.

Le trajet sur des allées caillouteuses entre des murs gris surmontés de fils barbelés pour rejoindre le quartier des femmes ? ... Le bruit de nos pas prévient l’oreille attentive que nous arrivons. Et dans cet endroit où l’on entre dans les lieux publics ou privés sans frapper, après avoir soudainement déverrouillé les portes, c’est presque de la politesse.

L’annonce que la bibliothèque a été nettoyée de fond en comble pour la rencontre ? ... C’est reconnaître que le livre n'est pas un objet quelconque.

Que reste-t-il donc vraiment dans mon souvenir ? Le visage des six  détenues et celui de la bibliothécaire qui nous scrutent sans sourire d’abord ? Oui, bien sûr.

L'installation des chaises autour d’une table pour se rapprocher, dans cette pièce dont les murs, perpendiculaires à la fenêtre grillagée, sont chargés de livres? Comme pour offrir un horizon possible? Oui, à l'évidence.

Le fait que Brigitte préfère rester debout pour lire ses poèmes d’amour maternel ? Qui font mouche immédiatement ? Oui, oui, oui. Les femmes ont changé de regard. Leurs larmes, leurs sourires disent l’empathie.

Ma propre lecture ? Le hasard veut que j’évoque aussi les sentiments profonds qui peuvent unir les gens d’une même famille. Oui encore. Les interrogations partent dans tous les sens.

Mais, ce dont je me souviens le mieux, c'est la confirmation que le livre, c’est l’évasion, c’est pouvoir retourner chez soi, revoir ses proches, échafauder des projets, échanger avec d’autres. C’est briser la solitude.

C’est franchir les grilles dans l’autre sens.

 

 

 

D'ailleurs, la dernière question de la bibliothécaire le souligne : Quand reviendrez- vous mesdames ?

 

Sequedin, 28 novembre 2013 - Marie-Claire George

Tous les jours sont-ils pareils en prison ? Les mêmes murs lisses, les mêmes herses grises, les mêmes barbelés enroulés autour du ciel, un ciel triste et inaccessible. Les mêmes occupations, les mêmes repas aux mêmes heures, les mêmes cellules qu’il faut partager bon gré mal gré avec les bavards ou les taiseux, les ronfleurs, les râleurs, les malpolis et les teigneux. Les mêmes gardiens, jour après jour, semaine après semaine, mois après mois, année après année. Les mêmes figures… Les même figures ?

Il est quand même des jours où de nouveaux visages percent la muraille, s’infiltrent dans le cercle des détenus venus écouter le vent du dehors, le vent de la vie ordinaire. Pourquoi sont-ils là, ces cinq messieurs si tranquilles, réunis dans la bibliothèque ? Aiment-ils lire ? Il y a bien le bibliothécaire adjoint, mais les autres ? - Non, moi je suis plutôt manuel. C’est l’occasion de sortir de sa cellule, ça évite de ruminer. – Non, moi je suis Roumain, je ne parle pas bien le français. – Non, j’aimerais bien mais j’attends de nouvelles lunettes. – Oui, moi oui, mais faut pas que je me prenne la tête, ça me plaît ou ça me plaît pas.

Nous voilà bien partis avec ce club d’indéfectibles lecteurs tout acquis à notre cause ! Mais les regards s’échangent, les sourires aussi ; allons, cela ira ! Une page de lecture pour commencer ? Les voilà tout ouïe, le Roumain a même repéré la page ouverte et suit la lecture dans le livre qu’il tient à la main. A la fin, ils applaudissent, sympas : jamais dans ma carrière de prof les élèves n’ont applaudi mes performances !

Avec Jean-Pierre Bocquet, nous répondons à leurs questions : comment fait-on pour écrire un livre ? L’un d’eux – celui qui aime lire mais ne veut pas se prendre la tête – aurait bien envie de raconter sa vie, il y a matière, mais par où commencer ? Que pouvons-nous lui conseiller ? De fil en aiguille, nous racontons notre façon de nous y prendre, les personnages qui prennent corps par nos mots, les recherches indispensables pour être crédibles, les relectures nombreuses et sévères, la recherche difficile d’un éditeur. Et le plaisir que nous avons d’échanger avec nos lecteurs, avec eux. La confiance s’est installée depuis longtemps, le bon lecteur se laisse presque aller à un mea culpa : « Je ne regrette pas ce que j’ai fait, ce n’est pas la peine, c’est trop tard, mais je regrette ce que je n’ai pas pu faire depuis que je suis ici, tout ce temps perdu. J’ai une femme, des enfants, j’ai du bien, à quoi ça me sert ? »

Quand nous partons – le temps a passé vite – c’est avec leur merci : « Grâce à vous, j’ai passé une excellente après-midi. » Les livres sont déposés à la bibliothèque, ils seront au moins deux à les lire et cela prolongera cette échappée dans un monde de fiction, un monde qui ressemble à la vraie vie et leur permet de mettre pour un moment la leur entre parenthèses. Ces hommes se sont sentis écoutés, respectés, et le respect qu’ils nous ont eux-mêmes témoigné les rend comme les autres. Que leur souhaiter sinon de retrouver bientôt dans la société la place qu’ils auraient dû garder ?

 

 

 

 

 

 

 

Annœullin - 22 novembre 2013 - Brigitte Cassette et Thierry Moral

 A mon arrivée à Annœullin, Thierry se trouvait déjà sur place, décontracté, comme à son habitude. Et c’est en bavardant que nous avons pénétré dans cette forteresse imprenable où les grilles d’acier ont remplacé les douves profondes. Nous l’ignorions encore, mais cette journée allait être placée sous le signe d’un humour en pointillé qui nous colla aux semelles de l’entrée jusqu’à la sortie.

Que mes chaussures fassent retentir le portique de sécurité, j’en avais désormais l’habitude. Mais que mon outil de travail préféré se fasse la malle, ça c’était bien plus grave. Dans l’agitation des contrôles inéluctables, mon stylo « spécial dédicace », (un beau Cross auquel je tiens), se glissa entre les rouleaux du tapis roulant et s’échoua lamentablement en dessous de l’appareil. Impossible de le récupérer. Je l’entrevoyais à travers les fentes, gisant sur le sol, me mettant au défi de venir le chercher. Il me narguait, c’est sûr. Il aurait fallu un crochet, un bâton, un balai, une baguette magique peut-être, pour qu’il me revienne entre les mains. Le pari s’avérait audacieux. La machine s’adossait au mur gauche, tandis qu’à droite ne subsistait qu’une largeur restreinte, juste suffisante pour glisser un bras. Stoïque, j’abandonnai mon trésor non sans supplier le SPIP de déployer des montagnes d’ingéniosité pour me le restituer dès que possible.

Dans la bibliothèque exigüe, 4 détenus nous attendaient. Au dehors, nous avions convenu du déroulement de la séance. Or, le livre de Thierry, qui porte le nom de son héros « Fred Loram » narre les aventures d’un ex-taulard. Autant dire que le livre fit mouche, le public et la cible se rejoignant au cœur. Je suggérai à l’oreille de mon comparse de modifier nos plans et lui demandai de débuter les échanges. Savoir improviser, remédier, faire preuve d’un minimum de psychologie, ressentir l’atmosphère, les non-dits, demeure essentiel. Les détenus le pressèrent de questions. Lui, l’écrivain, avait donc été incarcéré ? Combien de temps ? Pour quels motifs ? Thierry laissa planer le doute avant de leur révéler la vérité : non, jamais. Il lui avait suffi de se documenter pour refléter au mieux la réalité du milieu carcéral. Les détenus restent sonnés, presque déçus. Ils y croyaient tellement ! Après ce coup de bluff, le débat s’ouvre plus amplement, la parole se déchaîne, les rires s’envolent, la décontraction s’invite autour de la table. Les hommes se saisissent de cette parole avec avidité, sans doute parce qu’elle se fait rare derrière les murs. Ici, dans cette pièce, elle renaît, elle s’étoffe, elle s’étale, passe par un dédale de questionnements divers : comment fait-on pour imaginer les personnages ? Pour trouver un éditeur ? Par une affirmation de soi également : « moi aussi j’écris ! » Par une valorisation d’eux-mêmes puisqu’ils nous partagent avec fierté leurs ébauches littéraires. Durant les échanges, je reste discrète. Je m’interroge. La poésie née d’une sensibilité féminine est-elle bien à propos ? Pourtant, ce sont eux qui viennent me chercher, qui me sollicitent. Ils se montrent curieux et désirent m’entendre. Lorsque les mots s’écoulent, ils s’émeuvent en silence, approuvent de la tête. Fragilité et sensibilité éclatent au grand jour.

La séance s’achève. Nos auditeurs nous paraissent enthousiastes, revigorés. Face au portillon de sortie, le badge de Thierry fait un ultime caprice. Le tourniquet refuse d’obtempérer, l’obligeant à ramper à quatre pattes pour passer outre. Le SPIP agite en souriant mon stylo retrouvé. Ne vous avais-je pas dit que cette journée était Formidable ?

 

 

 


Bapaume - 21 novembre 2013 –  Brigitte Cassette et José Herbert

En cette journée brumeuse, les miradors couleur béton se fondent dans la lourdeur du ciel. De hauts murs interminables, des grilles imposantes, c’est là, pas de doute. Sur le parking réservé aux visiteurs, le visage fouetté par les fraiches bourrasques, j’attends mon coéquipier. José arrive le rouge aux joues et légèrement contrarié. Il tempête : son GPS l’a conduit par le chemin des écoliers jusqu’à notre point de RDV.

L’accueil se fait par l’application des mesures draconiennes ordinaires. Mes chaussures sonnent au portique. Je dois me déchausser. Ça devient une habitude. La prochaine fois, juré,  je mettrai des tongs ! Mon trousseau de clefs glisse sur le tapis roulant. José vide le contenu de ses poches et en ressort quelques trésors. Une pleine poignée de piécettes dont il doit se délester, et son ceinturon dont il doit se libérer.

Alexandra nous attend dans le sas. Elle nous mène à travers un dédalle de couloirs, d’escaliers, de portes, de grilles. Monter, descendre, tourner à gauche, à droite, nous la suivons, dociles. Mon sens de l’orientation, habituellement fiable, se rebelle. Après ces détours dans ce labyrinthe, et malgré de brèves visées sur la pelouse extérieure, nous ignorons où nous sommes finalement. Dans quelle aile ? A quel étage au juste ? Quelle direction ? Au nord ? Au sud ? Ma boussole intérieure est déréglée. Il me semble impossible à ce stade de revenir en arrière, à notre point de départ. Est-ce voulu par l’effroyable bâtiment ? Brouille-t-il de lui-même les pistes afin de mieux nous accaparer ?

Dans la bibliothèque du quartier homme, 8 détenus nous attendent. 2 autres nous rejoindront en cours de séance. Je les remercie d’être venus jusqu’à nous. D’avoir fait ce pas décisif, auquel nous avons ajouté le nôtre pour les rejoindre et permettre cette rencontre. Ils apprécient, nous remercient. J’aborde mon métier, je les questionne. Certains se sont-ils déjà essayés à l’écriture ? Ne serait-ce qu’un poème ? Plusieurs le confirment avec fierté. Le débat s’ouvre, la parole se libère. Ils ont des rêves d’écriture plein la tête. Ils sont attentifs, curieux, respectueux, avides de conseils. Je lis quelques textes. Pour conclure, je leur suggère d’apprendre un poème en 3 minutes ! Etonnement général. Gageure dont ils se sortiront vainqueurs. J’applique pour cela la méthode participative « du jeu d’orchestre » initiée par un centre de détention (je ne sais plus lequel) dont la conclusion a été rendue lundi 18 novembre à Lille 3, au cours du colloque international « éthique et création en milieu carcéral ». Le chargé de mission culture justice Hors cadre, Marc Le Piouff, avec lequel l’ADAN travaille pour toutes ses interventions en milieu carcéral, y participait. J’ai simplement transposée la méthode par des mots au lieu des notes de musiques. Chaque participant a dû mémoriser un vers du poème qu’il a restitué à haute voix à la suite de ces codétenus. Le poème a été ainsi recréé dans son intégralité par 10 détenus successifs. Chacun est devenu le maillon d’une chaine permettant au final de découvrir et de s’approprier une œuvre artistique en commun. Cette expérience les a fait passer du stade d’auditeurs bienveillants à celui d’acteurs enthousiastes.

J’ai ensuite cédé la parole à José Herbert qui a répondu aux nombreuses questions sur ses différents ouvrages. Deux heures sont passées. On nous apprend que la directrice des SPIP souhaite nous rencontrer dans son bureau. Bilan de l’intervention autour d’une tasse de café. Elle nous demande nos impressions. Elles sont très bonnes de notre côté. Je suggère qu’il faudrait peut-être réaliser un sondage pour s’assurer qu’il en est de même pour les détenus. « Sont-ils restés jusqu’au bout ? » Oui, tous. Sauf un qui s’est éclipsé en fin de séance pour un RDV chez le dentiste. « Alors, pas besoin de sondage ! C’est qu’ils ont aimé… »

En sortant du bâtiment, José me confie que c’est l’une des interventions qu’il a le plus appréciée. Pas de doute. Nous étions sur la même longueur d’onde.

 

19 novembre 2013 - Bapaume - Jean-Louis Lafon - Jean-François Zimmermann

Sortie d’autoroute n°14. Au dessus de la barrière de péage, un mirador se pointe. Au bord de la Z.A. des ANZACS, une activité très spéciale dans une zone fraichement bétonnée : il y a 20 ans la garenne et le corbeau se récitaient des fables tranquillement au milieu des betteraves.

Clac. Clac. Quinze portes d’affilée, ouvertes quasi mécaniquement : Little Nicolas is watching you. Segmentation de  couloirs assez lumineux dans ce jour gris. Étonnement de surcroît : longer la mort davidienne de Socrate, l’escarpolette fragonardesque, la lecture léger de Fernand, en deux mètres par un, reproduites (de mémoire ?) par les détenu(e)s, la pérégrination desquel(le)s ne les conduit jamais par là !

Clac. Clac. Montés à l’étage, nous découvrons une charmante quoique petite bibliothèque dédiée au quartier « femmes » (car depuis vingt ans, plus question de mêler la garenne et le corbeau !). Chaises rapidement installées autour de deux tables, nous voilà assis, deux barbus et quatre femmes ; ou encore, un breton, une normande, deux sarrasines, une basque et un gaulois à la moustache pendante…

Pendant deux heures d’horloge, un vrai bonheur ! Tout autour de nous a disparu (autour de moi au moins, c’est certain) : le gris du toit marié au gris du ciel, livres gommant les barreaux. Les barrières sont tombées, chacun des six y va de son sujet, de son mot, de son anecdote, la parole tourne. Est-ce l’effet de la mixité du groupe ?

Public captif captivé, captivant. Personnes attentives aux lectures : du Jean-François leste les a mises en joie et trente secondes ont suffi pour percé le lipogramme en « o » de la ballade inaugurant le « Café Quinquin ». Personnes prêtes à écrire : sur la table un gros cahier, un petit carnet, qui n’étaient pas les nôtres. Prêtes à lire toute évasion, celle d’Albertine Sarrazin ou d’Edmond Dantès. Fou-rire mais aussi aperçu sur la réalité vécue : nous avons la clé de notre cellule ! Mais aussi il n’y a pas de journal quotidien mis à disposition.

Fou-rire que les « Spip », à leur grand regret ont été obligées d’interrompre pour  temps dépassé. Dédicace des deux livres pour la bibliothèque. Passage dans le bureau de la « Spip-chef » fraichement nommée : suggestion de mettre les noms des auteurs invités sur les affiches ; félicitation pour le taux de retour égal à 4% (le quartier des femmes en contient 100).

Bref, une belle journée d’automne que je n’oublierai pas.

Jean-Louis

 

Une bibliothèque qui ressemble à n’importe quelle autre bibliothèque : des livres sur des étagères et un espace de lecture. Et ce ne sont pas les barreaux aux fenêtres de cette salle qui pourront empêcher les rêves nés de ces ouvrages de s’échapper au loin, très loin, quelque part en un pays où se cristalliseront les réponses aux questions qu’ils posent.

Quatre femmes attentives, enjouées, aux yeux pétillants de malice, écoutent, questionnent et se racontent. Deux auteurs assis en face d’elles leur offrent en partage leur univers peuplé de mots, jalonné de passions, ponctué d’espoirs.

Le décor est planté pour deux heures de bavardages. Ensemble, ils cheminent sur les sentiers d’espérance.

Tout à une fin, le rideau tombe et malgré les rappels on ne rejouera pas le dernier morceau.

« Déjà ! », disent-elles en chœur. Quel plus bel hommage peuvent-elles rendre à ceux qui viennent du monde du dehors, ce monde qui continue de tourner, sans elles !

« La vérité pure et simple est très rarement pure et jamais simple ». (O. Wilde)

Jean-François

 

Le 19 novembre 2013 CNE de Sequedin - Denis Barbe

 

 

 

Nous avons été accueillis avec des mesures de sécurité impressionnantes (chaussures et ceinture à faire passer au détecteur, mise à l'écart d'une clé USB en plus des portables, passage de 13 portes/grilles) puis laissés seuls dans une pièce confortable, avec 6 ou 7 participants. Petite inquiétude au départ, car la personne qui nous a accueillis se demandait si la présence de deux détenus n'allait pas poser problème, compte tenu d'un incident entre eux ("nous passerons de temps en temps pour voir si tout va bien").

Bigre! Finalement tout s'est bien passé et nous ignorons qui était concerné dans le groupe.

Me voici immédiatement interpellé par un homme à l'accent du midi qui venait de finir la lecture de mon livre (mis à disposition par la bibliothèque le vendredi précédent) et qui me présente également un livre de Boris Cyrulnik dans lequel il a souligné les passages importants. Il me montre le paragraphe qui affirme que le déni peut être salvateur en ce qu'il protège d'une angoisse excessive. Bien! Que faire de cet échange? Pas grave, nous voici de plain pied dans une communication riche et variée.

 La réunion commence et seul un membre ne parlera pas. Tout le monde participe, rebondit, questionne les fameux auteurs. Nous pouvons évoquer notre livre, l'écriture, l'édition, la relecture, la couverture, la communication éditoriale, l'évolution de la langue française, les consonnes sourdes ou sonores, l'envie qui nous porte d'écrire, notre passion pour le langage donc. Nous parlons de grands auteurs de polars (en dehors de nous, il faut bien leur faire une petite place), de science-fiction, de la guerre 14, des livres préférés de chacun. Les anecdotes viennent, y compris de la vie privée de certains détenus, l'attention est soutenue et nous ne voyons pas le temps passer.

Jean-Pierre Bocquet, mon comparse à cette occasion, devrait confirmer cette impression agréable d'une belle rencontre.

Certes, il est impossible de savoir ce qu'il va en rester, mais n'est-ce pas la règle en tout échange avec des inconnus? Pour ma part cet exercice, qui me met sous tension, me paraît positif et je le conseillerais à quiconque, même si je n'arrive pas à cerner exactement en quoi il m'enrichit.

Peut-être tout simplement parce que j'ai parlé à des hommes au destin fêlé, à d'anciens enfants.

 

 

 

Jean-Pierre Bocquet

Je passe régulièrement à proximité de la maison d’arrêt de Sequedin mais ce lundi 18 novembre j’allais y pénétrer pour la première fois. Nous étions deux auteurs à venir échanger autour de nos polars avec des détenus en fin de longue peine.

Sequedin est une maison d’arrêt récente, rationnellement pensée, compartimentée méthodiquement. Il nous a fallu franchir 14 portes ou grilles solidement verrouillées avant de nous retrouver dans la petite salle où nous ont rejoints les détenus.

Un dialogue constructif et enrichissant s’est très rapidement instauré, nourri de questions, de réflexions, nos œuvres et leurs lectures étant les vecteurs d’un regard distancié sur la vie en général et les sujets d’actualité en particulier.

Un seul des détenus présents est resté silencieux. Peut-être était-ce le plus attentif ? Curieusement, il était venu s’asseoir à côté de moi et le plus bavard était son vis-à-vis. J’ai fini par penser qu’il n’avait pas besoin d’en passer par la parole pour s’évader de son quotidien. Comme quoi, on est homme avec les autres…

 

Le 13 novembre 2013 Prison de Douai , Denis Barbe

 

 

 

 

 

 

Petit retour de mon expérience d'hier à Douai, en compagnie de Jean Louis LAFON : 9 détenus et la présence d'une jeune personne représentant le SPIP (volontaire service civique dans l'animation culturelle).

Nous avons été bien accueillis et une salle de réunion, plutôt confortable car petite, nous était consacrée.

Jean-Louis et moi avons beaucoup parlé (surtout lui, vous le connaissez!) en bénéficiant d'une écoute sérieuse. J'ai eu le sentiment d'un réel intérêt y compris de personnes qui ont annoncé ne jamais lire. Il émanait du groupe une sorte de retenue prudente, mais à la fin quelques questions et remarques sont arrivées. Pas de question sur le récit de nos livres (deux polars) que nous avons "raconté" et dont nous avons lu quelques extraits. Ils ont été extrêmement surpris du faible intérêt financier à écrire et être édité. A la réflexion, je me dis que cette question est pertinente, car elle montre que dans la vie il n'y a pas que la valeur financière, et que ce message peut être entendu par tous en général, et par d'éventuels acteurs de délits motivés par l'argent, en particulier.

Je ne prétends à aucune leçon de morale, simplement il me semble que notre témoignage d'activités d'écriture à des années-lumière de leurs préoccupations et de leur univers peut leur apporter un peu d'air.

A l'issue de la rencontre, la responsable du service pénitentiaire a demandé s'il y avait des candidats pour une activité culturelle parallèle et il s'est trouvé 3 personnes intéressées, peut-être grâce à notre après-midi.

A noter que cette responsable pensait que la réunion ne durait qu'une heure. Nous avons tenu deux heures sans difficulté et c'était la durée que Jean-Louis et moi avions cru comprendre.

 

 

 

 

Jeudi 19 septembre 2013, maison d'arrêt de Dunkerque, Christine Desrousseaux.

Nous sommes quatre mousquetaires du livre, Jean-Pierre Balduyck, Jean-Denis Clabaut, Thierry Moral et moi-même, prêts à apporter à ces hommes enfermés un peu de notre savoir, de notre expérience d'auteur, et sans doute aussi un peu de l'air du dehors qui nous anime. C'est la première fois que je me rends dans une prison, l'une de mes rares références à cet univers est le film Le prophète, de Jacques Audiard.

Ce qui me frappe à l'arrivée de la maison d'arrêt de Dunkerque, c'est la porte. Une porte unique au milieu du mur d'enceinte, une porte d'un bleu plutôt joyeux qui me semble peu imposante finalement. Comment peut-elle résister à toutes les envies d'évasion ? On sonne. Elle s'ouvre presque aussitôt. Derrière la porte, c'est plus complexe : un mécanisme de sécurité, un sas technique avant d'entrer vraiment dans la prison. Une petite cour ensuite. Il y a des roses plantées dans les plates bandes, signe d'une attention humaine pour mettre un peu de beauté dans ce lieu. Les murs sont hauts, surmontés de barbelés, ce jour-là, le ciel grisaille.

Nous sommes dirigés dans une grande salle, froide et sonore. Deux cercles de chaises, les auteurs s'y installent en duo. Un premier groupe d'hommes entre. Joggings et baskets. Ils sont jeunes, pleins de vie. Dans leur façon de répondre aux ordres, je pense au lycée, mais non, nous sommes dans un lieu d'enfermement tout autre. Je me lance, sans savoir exactement comment parler, comment soutenir leur attention, comment être sincère sans en faire trop, comment trouver un terrain commun. La discussion s'amorce. Très vite, les jeunes gens interviennent, posent des questions, rient, plaisantent, redeviennent graves. J'oublie les murs, le contexte particulier de cette rencontre, ce qui compte là, c'est l'échange et cet échange est aussi simple et riche que si nous étions ailleurs dans la ville, loin de ces murs.

Dans le second groupe qui s'installe ensuite autour de nous, les hommes sont plus âgés. J'observe les visages. Certains portent les stigmates d'une vie dure, qu'on devine gravée ainsi depuis l'enfance, d'un enfermement qui est aussi intérieur. Les langues se délient, la discussion s'ouvre. Finalement, peu importe nos livres, l'important est le dialogue, la parole qui circule.

On se quitte le sourire aux lèvres, on se serre la main. Les mousquetaires espèrent que ce moment de partage donnera envie à ces hommes de demander leurs livres à la bibliothèque pour une  « évasion » par l'esprit.

Avant le départ, une personne vient nous saluer, c'est, je crois, le cadre dirigeant des lieux. Le « chef » est un homme solide, sympathique, direct. Il nous parle de « sa » prison, du métier de surveillant (un métier de contact humain avant tout). Il est pour l'ouverture à la formation, à la culture. Il œuvre dans ce sens malgré les difficultés. Cette maison d'arrêt est vouée à disparaître, nous dit-il avec regret : ancienne et trop vétuste - les hommes y dorment encore en dortoirs, elle ne correspond plus aux critères de confort d'aujourd'hui. Pourtant, elle remplit peut-être son rôle avec un peu plus d'humanité que d'autres, flambant neuves mais exilées en rase campagne. De taille « humaine »,  on y entend bruisser la vie du dehors, les suicides y sont rares du fait du quotidien en commun et de l'absence de cellules individuelles.

Ce métier de surveillant n'est pas considéré, regrette également le chef. Lors des vœux présidentiels, tous les corps de fonctionnaires (gendarmes, armée, santé etc...) sont salués, remerciés. Jamais le personnel pénitentiaire.

Nous quittons les lieux, il pleuvine, nous allons retrouver nos activités, nos familles, les détenus de Dunkerque sont attendus pour le dîner de 17h30. Leur soirée sera longue.

 

Juillet 2013 - Arras - Thierry Moral et Brigitte Cassette

Mission évasion

Nous étions deux sur le coup. Une femme et un homme. Initiales BC pour l'une et TM pour l'autre. Rendez-vous à midi au 147 à Loos, devant une grande porte en fer noir. Un rapide café. Changement de véhicule pour brouiller les pistes, puis départ pour Arras. Notre instinct, un peu aidé par le GPS, nous a guidés vers cette impasse. Long mur bordé d'arbres. Une fois sortis de la voiture, nous avons mangé un sandwich dans un bistro, incognito, tout en mettant en place notre plan d'intervention composé de deux phases : 1. Infiltration, 2. évasion.

La première partie de l'opération commençait mollement. Détecteur de métaux qui sonne. BC a du se déchausser. Se décharger de l'inutile. Garder l'essentiel dans un sac passant sur un tapis roulant. Puis notre contact est arrivé. Nom de code : SPIP. Souriant, agréable, ouvert. La suite s'annonçait plus heureuse. Quelques portes et coups de clés plus loin, nous étions sur place, pour la phase 2.

La bibliothèque. Deux détenus sont arrivés. BC, plus expérimentée que moi, a « brisé la glace », par quelques questions. Après un petit temps d'attente, elle a commencé l'opération évasion. Qu'est-ce qu'un auteur sinon quelqu'un qui s'évade de son quotidien pour écrire des histoires, romans ou poèmes qui permettent aux lecteurs de le rejoindre dans son univers. Un propos clair et ouvert, ponctué de trois lectures poétiques. Les invités ont été attentifs. Même ceux qui sont arrivés en retard. Tous à l'écoute.

Vint mon tour. J'ai joué franc jeu en annonçant le début du roman « Fred Loram ». Un type sort de prison, et après ? Il est face à trois choix. Les détenus ont souri. J'ai continué avec la scène de l'assistance sociale (Ségolène) voulant que l'ex-taulard se ré-insère. Sauf que dans ré-insérer, Fred entend « serrer ». L'épisode du castor, puis du bal du 14 juillet. Les cinq auditeurs en voulaient encore. L'horloge tournait. Après quelques questions, sur notre travail, l'inspiration, nos choix, l'édition, j'ai conclu par un conte venant du Bénin. Un final sous le signe du rire.

Nous avons dédicacé nos ouvrages. Les étiquettes à code-barres ont vite été posées sur les livres, qui rejoindront la bibliothèque. Encore quelques questions. L'envie pour eux de prolonger ce moment d'évasion. Ils le pourront grâce aux livres. Notre contact nous a conduit dans son QG. Après un petit café, nous en sommes arrivés à la conclusion que notre mission évasion était accomplie. Une fois sortis, nous nous sommes regardés d'un air complice en se disant que nous formions une bonne équipe.

 

Juin 2013 Douai - Marie-Claire George

À l’initiative de l’ADAN et de Hors-cadre, une rencontre littéraire était organisée à la maison d’arrêt de Douai ce vendredi 7 juin. Le projet m’intéressait, j’ai donc fait fi – avec l’aide de Jean-Denis Clabaut et des responsables qui nous accompagnaient – d’une claustrophobie importune pour pénétrer, pour la première fois de ma vie, en prison.

            Quelle expérience ! Passé les inévitables contrôles de sécurité, portes et grilles, nous voilà dans une salle vide à attendre les détenus intéressés par le projet. Juste des tables et quelques chaises. Et ils sont arrivés, deux, puis trois, puis quatre, apparemment ravis de nous rencontrer. Nous nous sommes installés en cercle, détendus.

Jean-Denis a remercié les autorités de l’établissement de nous y laisser entrer plus facilement que les centres scolaires – mais c’est tellement plus difficile d’en sortir, a fait remarquer l’un de nos invités avec humour ! Nous avons parlé de nos livres, de nos sources d’inspiration, de nos exigences d’auteur et du plaisir que nous prenons à écrire, bien sûr, mais la conversation s’est tout de suite animée, les échanges se sont enrichis de philosophie, d’histoire, de politique, et pour ma part j’ai très vite oublié où j’étais, et avec qui.

Ces détenus, dont j’ignore les raisons pour lesquelles ils se trouvent là, ce sont des gens « ordinaires », sociables, ouverts, et assez courageux pour dépasser l’espace de quelques heures leur situation préoccupante. J’ai eu mal au cœur de les voir repartir ensuite se faire boucler dans leurs cellules...

            Je suis rentrée impressionnée. Si l’occasion se représente, je prendrai encore volontiers part à de telles interventions. Elles apportent beaucoup à tous ceux qui y participent : aux détenus qui y trouvent un dérivatif, un lieu de culture, une échappée sur le monde où ils se sont mis entre parenthèses, et aux intervenants comme moi qui rencontrons un public intéressé et intéressant, sur lequel nous portons désormais un autre regard.

 

Décembre 2012 Dunkerque - Jean-François Zimmermann

Il a le regard aussi doux qu’un loukoum, une main posée sur le cœur tandis que l’autre, paume largement ouverte, effectue de larges arabesques pour affermir son propos. Il se nomme A... Il est jeune, cultivé, ne me fait-il pas remarquer qu’Urbain II était le pape, à la toute fin du XIème siècle, responsable et organisateur de la première croisade ? Car l’action de « De silence et d’ombre », mon dernier ouvrage que je présente ici à la maison d’arrêt de Dunkerque se déroule à la fin du XIème. La dizaine de détenus présente est attentive et curieuse, mais c’est A… qui monopolise l’échange. L’univers monastique dans lequel baigne le héros de mon histoire est un univers d’enfermement, comme le leur, sauf que celui-ci est consenti, souhaité. Tout au long de mon roman, Dieu est présent. La question ne tarde pas à venir, suis-je moi-même croyant ? J’avoue être un mécréant, ce qui les déçoit beaucoup. S’engage alors un fructueux débat sur la foi auquel participe un détenu d’origine afghane qui nous explique les raisons de sa présence en France. Il est réfugié politique. J’ai bien envie de lui demander les raisons qui l’ont amené entre ces murs, mais le sujet est tabou. Un autre avoue ne pas comprendre que l’on puisse vivre sans religion, sans réponse aux interrogations de l’homme désespéré. Comme pour appuyer ces dires, deux détenus se lèvent alors, gagnent discrètement un coin de la salle, se tournent vers La Mecque et s’agenouillent pour la prière.

Jean-Louis Lafontaine prend le relais avec « Sa machine à rêves », machine que l’on peut comparer à la lampe d’Aladin qui n’est pas sans évoquer les contes orientaux. On le questionne sur les raisons qui le poussent à écrire et on nous confie écrire soi-même, poèmes, petits textes.

Écrire, lire, parler, savoir utiliser le Verbe pour partager, pour se défendre. Tous sont d’accord sur l’universalité de la parole pleine de sens. Plusieurs d’entre eux suivent des cours de français. Je les encourage vivement à poursuivre en ce sens, « Les dominants sont ceux qui possèdent le Verbe, le Verbe qui évite aux poings d’exprimer leur violence aveugle et destructrice ». Propos, certes, un peu pontifiants, mais qui recueillent néanmoins leur adhésion.

Applaudissements et remerciements chaleureux closent cet échange – ils ont autant parlé que nous – et rendez-vous est pris pour un nouveau débat.

Au surveillant qui s’informe à la sortie de l’attention et de l’intérêt dont ont fait preuve les détenus lors de cette « intervention », je confie avoir été agréablement surpris par les connaissances d’A… « Ah bon ! » me fait-il étonné. Comme quoi on peut côtoyer des individus sans s’apercevoir que certains d’entre eux recèlent des richesses insoupçonnées.

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Novembre 2012 Dunkerque - J.Wouters

Laissons les grilles qui se referment et le bruit du tour de clé qui verrouille la salle où nous nous retrouvons, Gilles et moi, avec 25 détenus et un gardien. Voyons plutôt l'impact du lieu sur le comportement du naïf qui vient de l'extérieur.

D'abord, dans la cour, le pas sur le côté quand on nous apprend que nos pieds reposent précisément sur l'emplacement de la guillotine d'autrefois. Puis l'entrée dans une salle qui a été chauffée mais dont on laisse la porte ouverte entre les gens qui rentrent un à un. Tout le monde porte anorak ou manteau, au moins, à ce niveau, l'égalité est respectée.

 Derrière la table: quelques chaises pour les intervenants. Devant : des tabourets en plastic. Pas très confortable pour un  échange qui doit durer une heure et demie, mais, me dit-on, c'est une salle de gym... Ca ne fait pas un pli : les premiers arrivés se mettent dos aux murs sur les deux côtés perpendiculaires à la table. Les autres prennent leurs sièges et se mettent en face des copains: plus pratique pour discuter entre soi. Résultat: le vide devant la table. Le PIP ne dit rien. Gilles me présente et je prends sur moi de faire comprendre que ce serait sympa de pouvoir parler en se voyant tous Le miracle s'opère: avec une gentillesse qui étonne le PIP, les gars se mettent devant la table. Gilles a choisi de parler de l'œil du Calamar. C'est passionnant. Je n'ai pas envie qu'il me passe la parole. Pourtant il le faut bien. " Le terre neuva", le texte que je propose, me paraît être à mille lieux des préoccupations des gars. J'en ai tellement conscience que je le lis avec un détachement intérieur que je n'ai jamais connu, très attentive aux réactions du public. Je regarde mon texte d'un œil critique. Trop long pour une lecture en deuxième partie de la rencontre surtout pour les accros de la cigarette. Trop ceci, trop cela, pas assez comme ci ou comme ça... Au bout d'un moment je leur demande même s'ils souhaitent que je continue. C'est oui. Et finalement ils applaudiront. L'échange ensuite montre qu'ils ont parfaitement suivi le propos.

Je n'ai rien à leur apprendre en matière de difficulté à vivre... Pour finir, ceux qui répondent au questionnaire notent que la rencontre était trop courte et ils viennent nous serrer la main en disant quelques mots. Voilà donc. Ces hommes m'ont fait réfléchir sur l'acte d'écriture et de lecture plus sûrement que n'aurait pu le faire  un éditeur. Merci à eux. Ils m'ont donné sans doute plus que ce que j'ai pu leur donner.

NB : C'est une bonne idée de faire l'intervention à deux. La présence de Gilles m'a été précieuse.

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Octobre 2012 Dunkerque - José Herbert

La maison d’arrêt de Dunkerque est située en plein centre ville, donc enserrée très étroitement par des rues, des parkings, des écoles, de la circulation, des gens qui vaquent tranquillement à leurs occupations. Un joyau dans un écrin bétonné ! Non ! N’exagérons pas ! Les bâtiments sont délabrés, les murs pèlent, les peintures s’écaillent. Nous sommes ici face à la grande misère des prisons françaises. A l’intérieur, des détenus qui n’ont pas à être là, une surpopulation génératrice de conflits, une oisiveté mère de tous les vices, dit-on.

            Nous fûmes très bien accueillis, Jean-Denis et moi, par le personnel  pénitencier, dont l’un des membres nous informa des problèmes spécifiques aux prisons en général, à celle-ci en particulier, tels qu’évoqués ci-dessus. Et comme j’avais fait Douai quelques mois auparavant, je fus amené à comparer les deux établissements. Le premier m’avait choqué par les bruits, de grilles, de clefs, de détenus qui s’interpellaient, et par la sécurité mise en œuvre à chaque pas que nous faisions. Celui-ci me choqua par ses rouleaux de barbelés qui me firent penser aux camps de la deuxième guerre mondiale. Quand à la sécurité, elle me parut moins exigeante.

            Nous prîmes place derrière une table, dans une grande salle, froide, dont l’acoustique était désastreuse. Les détenus se pointèrent tranquillement, un à un, presque une vingtaine en tout. Des visages ordinaires, sur lesquels aucune marque particulière ne venait préciser  le forfait accompli. Des gens comme vous et moi.

            Puis Jean-Denis prit la parole, présenta son dernier livre « les étrangères », et discourut autour de la mine, des mineurs, ceux que l’on faisait venir d’ailleurs, car il y avait du « boulot »,  prétexte également pour évoquer des sujets qui passionnent l’auteur, par exemple le racisme de plus en plus présent, la différence, la tolérance. L’intérêt fut certain et les questions nombreuses.

            Quant à moi, je présentais « la messe bleue », témoignage autour de la première année de vie de ma petite fille atteinte de la maladie de Hirschsprung dans sa forme complète. Intérêt et questions également furent au rendez-vous, de la part de l’auditoire.

            Cependant, un incident vint perturber le bon déroulement de la séance. L’un des détenus, au premier rang eut un geste appuyé et malveillant à l’adresse de l’un des intervenants aux discussions avec Jean-Denis. Ce fut très rapide et j’avoue ne pas avoir compris les motifs de cette colère. L’individu prit la porte, sans que n’intervienne le gardien présent dans la salle.

            Nous avons consacré une heure trente à ces gens ma foi sympas, et nous avons été surpris par la qualité de leurs interventions orales. A la fin de la séance, ils se sont précipités vers notre table pour nous remercier et prolonger un peu la discussion.

            Quand je retrouve ensuite la vie ordinaire, avec ses bruits et ses mouvements, je suis ébranlé. Je ne sais pas ce qu’en pense Jean-Denis, mais en ce qui me concerne,  il me faudrait un sas de décompression, transition entre le dedans et le dehors, car j’ai conscience d’avoir vécu pendant deux heures sur une autre planète. J’ai donné de mon temps, j’ai voulu faire passer des idées, de la compassion aussi. Mais je constate que le flux ne s’est pas fait que dans un seul sens. Moi aussi j’ai appris, et je suis sorti de là plus riche qu’avant, plus riche de cœur évidemment.    

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Avril 2012 - Douai

Visite à la prison de Douai de Brigitte Cassette, pour ses recueils de poésie, et de José Herbert, pour « la messe bleue ».

Que dire ? Les images et les bruits se bousculent dans ma tête. Je suis entré dans les lieux avec le cerveau formaté pour recevoir un certain type d’information, celui que nous offrent les médias, à savoir le spectaculaire, le sensationnel, le « je pense pour vous ». Comme quoi, une fois de plus il est essentiel de garder sa liberté d’analyse et sa capacité de DOUTER, essentiel de varier ses sources d’informations, surtout en cette période où, à longueur d’antenne, on nous assène des « Vérités », toutes différentes évidemment.

Adoncques, pas de tenues rayées comme les pyjamas de jadis, pas de cris intempestifs dans les couloirs et les cellules, pas de matons au faciès de bouledogue, pas d’Annibal lecter grimaçant derrière une grille, pas de chaines, pas de menottes, pas de boulet aux pieds. Des caméras ? Peut-être mais discrètes. Je n’ai pas remarqué.

Et… Des grilles, mon dieu toutes ces grilles ! Rouillées mais solides. Pas un local, pas un couloir qui n’ait la sienne, aux fenêtres, aux portes, aux gigantesques entrées des passages. Du costaud, toutes cadenassées, et pas avec du matériel de chez Casto, du colossal, des dents, des pênes, des blindages, des crémones, des gâches, des judas, univers surréaliste.

Et… Des bruits permanents, de portes ou grilles métalliques  qui s’ouvrent ou se ferment, de cliquetis de serrures, et le chant des trousseaux de clés qui brinqueballent. Et parfois des bruits de voix, des cris dont on ne perçoit guère la signification, qui résonnent et rebondissent dans les immensités.

La prison de Douai est une vieille dame, qui vit le jour au tout début du 20e siècle. C’est un monument historique. Une plaque contre la façade rappelle qu’ici furent guillotinés des malheureux, victimes de la barbarie nazie.  Les murs sont très hauts, comme des murs de prison, et des bribes de barbelés débordent de leur sommet.

Nous nous présentons à la cabine de l’entrée. Vérification par le planton sur une liste, à partir de nos cartes d’identité. Oui, nous sommes attendus. Nous entrons par une petite porte située sur le côté du portail et nous retrouvons ledit planton dans sa cabine ultra sécurisée. Nous devons lui laisser nos téléphones portables et abandonner nos sacs sur un tapis roulant, comme à l’aéroport de Lille Lesquin, pour qu’ils y soient scannés, puis nous sommes invités à passer par le portique, qui sonne pour Brigitte, à cause de ses boucles métalliques de souliers, et d’une boîte dans son sac, qui sonne pour moi à cause d’une fixation sur le badge que l’on nous a fourni. La moindre molécule de  métal énerve la bête et… le planton. Ensuite, c’est la découverte des couloirs, et l’accueil par la dame responsable des animations culturelles. Accueil sympa. Nous avons droit au café de bienvenue et nous sommes dirigés vers la salle où il faudra dans quelques minutes offrir nos prestations. Nous participons à l’installation des tables et des chaises, aidés par quelques détenus.

Mais pourquoi diable fus-je surpris de voir des détenus installer avec nous, dans la bonne humeur, sans boulet au pied, tables et chaises, après nous avoir serré la pogne ? 

Douze détenus prirent ensuite place face à nous, à table, ainsi que la bibliothécaire, souriante, qui pointe les présents. Je revois l’époque où j’étais invité à participer aux stages de mise à niveau de l’éducation nationale, sauf que cette fois, je suis devant. Mais pourquoi diable suis-je consterné de ne pas apercevoir dans les angles de la pièce des matons armés de mitraillette ?

Brigitte commence. Elle a l’expérience d’une première intervention en prison, moi pas. Pendant une demi-heure elle intéressera un auditoire très attentif, séduit par sa démarche d’auteur et de poète. Elle lit des poèmes et la douceur de ses mots captive l’assemblée. Ensuite elle me passe le relais. Je me lance, je me présente brièvement. Je raconte surtout la maladie de Hirschsprung de ma petite fille Lola, thème de mon dernier bouquin. Les gens sont attentifs, sauf un jeune détenu qui dort sur sa chaise à notre droite. La bibliothécaire a versé une rasade de café à chacun, dans des récipients en plastique, pas de verre évidemment. Mais pourquoi diable suis-je étonné de constater que les douze détenus ont droit, eux aussi, à la tasse de café chaud ?  Quelques questions fusent, l’ambiance est bon enfant, j’ai devant moi un jeune détenu qui connaît la maladie de Hirschsprung, je lui pose la question qui me taraude, êtes-vous médecin ? Oui, répond-il avec un sourire. Mais pourquoi diable suis-je surpris de voir un médecin en prison ? Tout le monde est sympa, attentif, chaleureux. La séance se termine par quelques questions de la part des auditeurs. C’est fini ! Les détenus s’approchent de notre table. J’en oublie que devant moi, est posée un alarme et que si on faisait pour nous égorger, il suffirait d’appuyer sur le bouton rouge pour qu’aussitôt ce soit le branle-bas de combat dans l’établissement. Pourquoi diable ai-je cette pensée saugrenue ?

Et ce sont les poignées de mains pour les remerciements. Je remercie. Elle remercie. Nous remercions, Ils remercient. Ils posent quelques questions, pertinentes, ils prennent en mains nos bouquins, nos publicités, les ouvrent avec précaution, lisent les dédicaces que nous avons écrites sur les ouvrages, font preuve d’enthousiasme, de curiosité. Nous échangeons, librement. Ils aiment la poésie, ils se régaleront, c’est sûr, ils le disent et ils sont sincères, ils lisent et écrivent beaucoup, surtout du courrier pour leur famille, de longues lettres. Mais pourquoi diable suis-je en train de chercher sur leur visage des vilaines traces de leurs méfaits ? Il n’y en a point, ces gens-là sont comme vous et moi. Des jeunes, des vieux, des beaux, des laids, des grands, des petits, des intelligences différentes, des éléments différents de la société. Et des sourires, des paroles anodines, de la chaleur humaine.

            On nous emmena ensuite visiter la bibliothèque de l’établissement. Nous y vîmes des rayons bien fournis, une vie, des allées et venues, des gens installés à lire. Cependant la porte d’entrée fut verrouillée sitôt que nous fûmes entrés dans les lieux. Là, les échanges se poursuivirent, autour des bouquins. Un détenu m’assura qu’il irait voir le blog de « la messe bleue » dès qu’il sortirait, je l’invitai à me laisser un message. Un autre dit qu’il connaissait des gens du village où j’habitais dans le Cambrésis. Un autre blague à propos de mon âge, car il est plus âgé que moi. Un autre me parle de la surpopulation dans les prisons. Les paroles sont libres. Pas de censure.

            Il nous faudra ensuite sortir en nous faisant accompagner, car nous nous perdons dans le labyrinthe des couloirs et des grilles, puis récupérer nos portables à l’accueil et retrouver l’air extérieur, le  crachin et le froid qui sévissent en ce mois d’avril.

            En conclusion, j’aimerais évoquer un roman de Victor Hugo, grand humaniste s’il en est, publié en 1829, titré le dernier jour d’un condamné... à mort j’ajoute car le titre ne le dit pas. Ce génial petit roman nous raconte avec émotion la journée d’un condamné à la guillotine, sa dernière journée donc. L’auteur, et c’est l’une des particularités du roman, ne révèle jamais les motifs qui vont conduire le condamné à l’échafaud. Pourquoi ? Pourquoi négliger cette soif de savoir qui va pénétrer sans nul doute le lecteur avide ? La réponse me semble évidente et tient pour moi en ces quelques mots : « GARDONS-NOUS DE JUGER » 

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06 décembre 2011 Prison de Dunkerque - Jean-Louis Lafon

Extérieur Minck et tour du Leughenaer,
enceinte de pierre teintée jaune sable près de la mer,
vieille porte en bleu ciel sous les nues grises.
Sous le judas, une fente : nos cartes d’identité y glissent en sésame.
 
Intérieur écrans synoptiques, caissons de consigne, portiques
caméras, doubles portes conjuguées qui s’ouvrent sur …
une petite cour pavée ceinte de bas murs et de treillis barbelés :
quelle est donc cette ferme, qu’y élève-ton dans ces étables inodores ?
 
Surveillants en gros pull de laine bleu marine, galons dorés/argentés :
un équipage de terre-neuvas pour qui le talkie aurait remplacé la pipe ?
Arrivée du SPIP, (au civil Mlle Vereecke) : mais c’est Spirou
- cheveux roux, manteau rouge, bas de laine itou -
accorte et prévenante, nous présente, nous rassure.
 
Entrée dans un petit bâtiment : salle de sport, frise en pixels jaunes, verts, bleus
au fond un grillage protège un mannequin prêt à être boxé ;
trente six tabourets plastiques sans poids disposés en carré
devant deux tables en fer et trois chaises assez fatiguées, crades
(mais nous resterons quasiment debout)
 
L’un après l’autre, sans bruit, furtivement, les sièges se garnissent :
Majoritairement le long du mur formant dossier.
dix-huit paires d’yeux devant nous :
un bras cassé, un obèse, un sosie de Patrick Bruel…
Même uniforme que les matons, dans les tons sombres ou marines.
Nous serrons la main à ceux qui le veulent.
 
Au début, regards fuyants ou vides ou neutralisés
Puis, emportés par l’écoute, réactions timides, affirmations modérées.
Dialogues. Échanges certes un peu convenus (mais comment rompre la glace ?)
Une seule fois, Spip a demandé que le silence revienne
 
C’est mon tour :
tel le syndicaliste, je me lève devant l’assemblée et lis à voix haute
Mais le virus (corps étranger que n’a pas détecté le portique) m’essouffle.
Sourires devant mon halètement. Encouragements à poursuivre.
Hourras. « Comprenez-vous le ch’ti ? » -  « Allez-y, M’sieu ».
Camamber erre dans Moulins, mon haleine s’éteint.
Applaudissements. Je me lâche : « je suis bien, content d’être ici ».
Oui , c’est vrai et simple : d’être ici, en prison, pour mes frères, avec mes frères en humanité. 

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En raison d'une légère méprise (défaut de courriel), nous nous sommes retrouvés, Jean-Denis Clabaut et moi-même, à la maison d'arrêt de Dunkerque le 8 novembre alors que nous y étions attendus le 15. Loin de me décourager, cet incident m'a permis de découvrir les lieux que Jean-Denis connaissait déjà. Ce fut pour moi l'occasion de franchir ces hauts murs, lourds de sens et d'interrogation, et de me familiariser avec le bâtiment, la structure d'accueil, ainsi que les mesures de sécurité incontournables (coffres, caméras, portique). Ainsi, la sournoise appréhension qui me titillait depuis quelque temps s'est estompée grâce à ce premier rendez-vous manqué.

De fait, lors de notre seconde visite du 15 novembre, je me sentais revigorée et n'avais qu'une hâte, celle de partager ma passion des livres avec les détenus. Ces derniers, au nombre de 23, encadrés par un surveillant, nous attendaient dans la salle polyvalente, espace dont la neutralité nous fait rapidement oublier la spécificité de l'endroit. Après que l'animatrice du SPIP nous ait brièvement présentés, celle-ci nous a quittés en raison d'impératifs professionnels.

Jean-Denis a démarré son intervention en situant l'époque des événements historiques traités dans son ouvrage, puis en a lu plusieurs extraits afin d'étayer son récit. Pour ma part, j'avais emporté mon recueil de poésie, afin de diversifier notre offre, et parce que j'avais appris que ce genre littéraire est particulièrement apprécié dans les prisons. J'ai ébauché le métier d'auteur, ses contraintes comme ses possibilités, puis j'ai lu trois textes dont le dernier, relatif à la drogue et propice à la réflexion, me paraissait approprié dans la situation présente.

Je craignais à vrai dire quelques regards malveillants ou railleurs, la réalité se chargea de balayer mes préjugés. Les détenus furent attentifs, respectueux. Seuls quatre d'entre eux se montrèrent moins présents, en raison apparemment d'un manque de maîtrise de la langue française, celle-ci n'étant pas leur langue d'origine. Après nos exposés, nous avons conclu l'intervention par un temps de libre échange, l'expression orale étant pour moi tout autant liée au monde l'écrit. Ce moment fut pour eux l'occasion de briser quelques timidités.

Je suis certaine que la plupart des détenus ont regagné leur cellule avec de nombreuses images dans la tête résultant de nos lectures. Ce qui m'apparaît positif et libérateur. J'ai remarqué en effet, sur le visage d'un détenu assis au premier rang, la joie lorsque j'évoquais une série de clichés (couchers de soleil, gâteau au chocolat, crayons de couleur, Tahiti, sapin de Noël...) et son approbation d'un mouvement de tête lorsqu'il a répété « ah oui, les crayons de couleur ». Je pense qu'il y aurait beaucoup de bien-être à apporter par la mise en place d'ateliers d'écriture, en parallèle et à moyen terme, pour compléter nos actions. J'en profite pour signaler également que le fonctionnement en binôme me semble idéal. Nous nous « épaulons » d'un coup d'œil complice, d'un rebondissement d'idées.

En résumé, beaucoup de barrières sont tombées ce 15 novembre ; les miennes et celle de deux mondes qui se sont rapprochés le temps d'un « arrêt » à Dunkerque. Il va sans dire que je suis partante pour renouveler l'expérience.

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Le 23 septembre 2011  Dunkerque

Deux auteurs avaient fait le déplacement pour cette première : Jean-François Zimmermann et Jean-Denis Clabaut.

Bien sûr, c’est une prison. Alors il nous fallut montrer patte blanche pour pénétrer, passer sous les portiques, soumettre nos documents au scanner, mais finalement, rien de plus que dans les aéroports. La maison d’arrêt se trouve au cœur de la ville, bâtiment construit au XVIIIème siècle, qui conserve de cette époque une architecture certes austère, mais qui tisse un lien avec l’histoire, les barreaux et les lourdes grilles modernes en plus.

L’accueil de l’ensemble des surveillants a été courtois, voire même convivial, et grande fut notre surprise de constater que 27 détenus s’étaient inscrits pour cette rencontre, pour une population d’une centaine. De l’avis des surveillants, c’est une fréquentation exceptionnelle (Oui, on dit « surveillant » en prison ; les gardiens sont pour les zoos, et ils sont très susceptibles là-dessus). De fait, la bibliothèque où était prévue l’intervention étant jugée trop petite, c’est dans une petite salle polyvalente que nous fûmes installés. Organisation scolaire classique : une table avec nos chaises derrière, les tabourets des participants s’alignant strictement devant nous en deux groupes, séparés par un passage. Voilà pour les conditions matérielles.

Nous avions prévu de jouer cette partition à deux voix, alternant lectures de passages de nos livres et présentation à la fois de l’association, mais également de l’enchainement d’idées et de situation qui nous avait amenés à écrire.

Dire que la rencontre fut enrichissante est un euphémisme. Très rapidement, nous avons oublié la nature particulière du lieu, mais également celle du public : une forme de café littéraire classique en somme. Nous avons été agréablement surpris par la concentration de nos hôtes, qui ont écouté nos lectures dans un silence cistercien, n’hésitant pas à rebondir sur les extraits lus, les photographies présentées comme support pour l’un des ouvrages. La conversation aurait d’ailleurs pu s’enrichir d’avantage si l’acoustique n’avait pas été aussi mauvaise. Pour la prochaine intervention, nous demanderons une autre organisation que celle mise en place afin de privilégier les discussions. Si peu de participants se sont exprimés, ils étaient pour leur grande majorité très concentrés et attentifs, satisfaits de cette intervention menée pour eux, par des personnes de l’extérieur.

Pour des détenus, l’écrit redevient une activité primordiale. C’est en effet leur unique moyen de communication avec l’extérieur et, de leur avis unanime, les poésies sont leur premier sujet de lecture, utilisées pour témoigner leur affection à leurs proches. Certains avouent écrire souvent, d’autre remplissent des pages qu’ils conservent ou déchirent et, comme l’a dit l’un d’entre eux, le temps carcéral étant plutôt lent, ils trouvent le temps de lire qu’ils n’avaient pas à l’extérieur. Une façon de positiver l’incarcération. A la fin de la présentation, un exemplaire de chaque ouvrage a été remis au détenu chargé de la bibliothèque car, selon quelques-uns, « vous nous avez donné envie d’en savoir d’avantage ».

Une fois la porte de la prison franchie, nous avions tous deux les mêmes sentiments : le moment que nous venions de passer est très particulier, vivifiant et rare. Une expérience que nous sommes prêts à renouveler et à transmettre aux futurs intervenants.