Djamel Cherigui : " enchainant la lecture des romans, je me suis dit « pourquoi pas moi aussi ? » " 

Le 31/07/2023 0

‘’ Sa réussite est magistrale, les jeunes du « ghetto (sic) » le lisent, les grands bourgeois l’invitent, et sa prose s’écoule à des milliers d’exemplaires - et bientôt en livre de poche. » Libération -  18 avril 2021 Djamel Cherigui fait la démonstration que l’écriture est un puissant moyen démocratique de transcender son existence et que devenir auteur n'est pas une voie réservée à une élite auto-proclamée.  Devenir auteur est une ambition légitime , un parcours d’excellence et de réalisation personnelle ouvert à chacun mais extraordinairement exigeant 

ADAN : L’ADAN est l’association de référence des Auteurs des Hauts de France qui regroupe prés de cent soixante écrivains et experts du livre. Vous habitez Roubaix, l’action de vos deux premiers romans « La Sainte Touche » et « le Balato » se déroule dans le Nord. Comment décririez-vous votre lien avec la région ? En quoi influe-t-elle sur votre activité d’écrivain ?

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Entretien exclusif. 

Propos recueilli par Benoit Lorsin ADAN

Vous habitez Roubaix, l’action de vos deux premiers romans « La Sainte Touche » et « le Balato » se déroule dans le Nord. Comment décririez-vous votre lien avec la région. En quoi influe-t-elle sur votre activité d’écrivain ?

Djamel Cherigui : J’y suis né et j’y vis. Je ne pense pas que la ville soit importante et qu’elle influe sur le style ou l’écriture. Evidemment, je parle de ce que je connais, des gens que je fréquente ou que j’ai fréquentés, mais je ne fantasme pas non plus ma ville ou mon département. J’écris dessus par ce que j’y suis né tout simplement. Si j’étais né ailleurs, j’écrirais autre chose ADAN : Comment vous est venu l’envie d’écrire ? A quelle période de votre existence ? Quel a été le déclencheur qui vous a poussé à prendre la plume ?

Djamel Cherigui: C’est venu après pas mal de lectures. C’est consubstantiel à l’ouverture de mon magasin. Quand j’ouvre ce magasin, il y a 10 ans, j’étais déjà un lecteur aguerri, mais je me suis mis à lire avec une frénésie plus grande encore, en enchainant la lecture des romans, je me suis dit « pourquoi pas moi aussi ? ». Faut dire que j’avais du temps devant moi, aussi bien au magasin que le soir, et j’ai voulu essayer. Sans forcément attendre de résultat, mais juste essayer pour voir ce que ça donnerait.

ADAN : Vous avez un style bien à vous. Il marie des phrases construites avec un vocabulaire qui relève d’un langage soutenu et d’autres avec un langage plus familier. C’est à la fois original et surprenant. Est-ce un effet que vous avez recherché avant de vous lancer dans l’écriture de votre premier roman ou est-ce venu spontanément ?

Djamel Cherigui :La transposition de l’oralité à l’écrit, ce n’est pas moi qui l’aie inventée. L’argot dans les romans, ce n’est pas moi non plus. On le retrouve chez d’autres écrivains. Sans me comparer évidemment, mais il y a Céline qui le faisait aussi. Avant lui, il y a eu François Villon ou Pétrone avec son Satyricon. Ce sont des boucles stylistiques. Chaque époque apporte quelque chose de différent. L’oralité à l’écrit mélangé à un langage soutenu, c’est déjà un style que j’aime lire. Il était donc naturel que je m’en approche. Comme toute personne qui a des velléités d’écriture, j’ai essayé différentes choses et j’ai vite compris que l’écriture grandiloquente, un peu à la Chateaubriand, Stendhal ou les grands écrivains du XIXème siècle, ce n’était pas un style qui me correspondait. Il a donc fallu que je trouve mon style. Mais je ne suis pas sûr de l’avoir trouvé à 100%

" Quand j’ouvre ce magasin, il y a 10 ans, j’étais déjà un lecteur aguerri, mais je me suis mis à lire avec une frénésie plus grande encore, en enchainant la lecture des romans, je me suis dit « pourquoi pas moi aussi ? »

ADAN : Dans vos interviews, vous évoquez souvent vos différentes lectures qui sont très éclectiques. Sont-elles pour vous une source d’inspiration ? Quels sont les auteurs, d’hier et d’aujourd’hui, qui vous ont le plus influencé ?

Djamel Cherigui : Je ne sais pas s’ils m’ont influencé. Mais j’aime beaucoup Céline, j’aime beaucoup Philippe Roth. Je suis un grand amateur de littérature nord-américaine, du Southern gothique, j’aime beaucoup Faulkner, Comarc Mc McCarthy qui nous quitté hier, Flannery O’connor. J’aime aussi les écrivains Yiddish comme Isaac Bashevis Singer, les écrivains allemands, Thomas Mann, Hermann Hesse, Patrick Süskind, et les écrivains français contemporains. Je pense à Mohamed Mbougar Sarr qui fait figure de génie dans son genre, Emmanuel Carrère dont j’ai tout lu, ou à Houellebecq. Mais je pense aussi à mon « maitre », celui que je mets au-dessus de tous peut être, c’est Grégoire Bouillier que j’aime énormément. Il est encore en activité et j’ai la chance de pouvoir communiquer avec lui. C’est pour moi une chance immense. Je pense également aux femmes comme Karine Tuil, qui est un peu ma marraine. J’adore ces romans, notamment « L’insouciance ». Il y aussi Marguerite Yourcenar et Donna Tartt , qui est une écrivaine exceptionnelle. Il y en a pléthore, des centaines que j’aime énormément . 

ADAN : Il me semble que l’écriture comporte deux phases majeures : une part d’ombre, lorsque l’auteur rédige dans son bureau à l’abri des regards, et une part de lumière, lorsqu’il partage ses créations aux lecteurs via les media, sur les salons, ou à l’occasion de conférences. Laquelle préférez-vous ?

Djamel Cherigui : Les deux. Ce sont les 2 faces d’une même pièce. Les deux se nourrissent, et les deux finissent par vous lasser. 

ADAN : Vous vous lassez même de l’écriture ?

Djamel Cherigui : Au bout d’un moment c’est pesant. Quand j’écris, c’est une période où je doute beaucoup, où je travaille énormément, en plus de mon travail au magasin. Au-delà du fait que ce soit énergivore, c’est aussi l’accaparement intellectuel. J’y pense beaucoup, je ne pense même qu’à ça. Pour en avoir discuté avec d’autres écrivains, c’est un peu la même chose pour tout le monde, c’est une grosse remise en question et ça finit par peser.

" Je veux essayer de livrer mon âme dedans, de mettre mes tripes sur la table" 

D cherigui dans son epicerieADAN : Vous attachez une grande importance à la création de vos personnages. Pouvez-vous communiquer à nos auteurs quelques astuces à prendre en compte et les pièges à éviter pour que leurs personnages de roman paraissent plus authentiques ?

Djamel Cherigui : Je ne vais pas donner mes secrets. Chacun, comme dirait Trotski, se débrouille avec le matériau qu’il possède. L’important c’est de mettre dedans une partie de son âme, de son cœur, de son énergie, de savoir et de comprendre pourquoi on parle. Certains mettent l’accent comme moi sur les personnages, d’autres sur l’intrigue, ceux qui écrivent des polars par exemple. D’un style à l’autre, ce ne sont pas les mêmes recettes. Le conseil le plus avisé, ce serait de ne pas écouter les conseils. Pour ma part, je n’ai jamais écouté personne. Après savoir ce qui va marcher ou pas, ça ne se contrôle pas. Il y a une part de magie dans tout ça.

ADAN : Pour vous, quel est le plus beau cadeau qu’un auteur puisse recevoir de ses lecteurs ? Avez-vous une anecdote à ce sujet ?

Djamel Cherigui: Qu’il achète son livre. C’est déjà beaucoup

ADAN : Pour terminer, quels sont vos projets à courts ou moyens termes ? Djamel Cherigui: Un troisième roman

ADAN : toujours dans la même veine ? Djamel Cherigui: Non, ce sera un récit plus proche de moi. Je veux essayer de livrer mon âme dedans, de mettre mes tripes sur la table, de vraiment me raconter, et par là essayer de raconter le monde qui m’environne. Mais, ce sera moins axé sur l’argot, le fantasque, le burlesque. Il y a encore du burlesque, parce que ça fait partie de moi, c’est ma touche, mais ce sera plus près du réel. Ce sera de « l’autofiction », plus que de l’autobiographie. 

Biographie: 

Empruntée à Wikipédia

Agé de 37 ans, Djamel Cherigui est natif de Roubaix. Son père est soudeur à l'usine New Holland de Croix et sa mère modéliste en corseterie. Djamel Cherigui effectue sa scolarité dans des établissements catholiques de la ville. Après la classe de première, il décroche scolairement et connaît quelques années « un peu chaotiques et turbulentes » précise t-il.  À vingt-sept ans, il décide de créer son épicerie qu'il va appeler " le Parvis"  car elle jouxte celui de l'église Saint-Jean-Baptiste. 

D cherigui affiche 60

Le travail d'épicier lui permet d'être indépendant, de faire nombre de rencontres et de lire beaucoup. Ses clients le qualifient d'« encyclopédie humaine ». Djamel Cherigui se dit notamment très influencé par Friedrich Nietzsche. Ses découvertes littéraires se font par intérêt pour ce que ses auteurs favoris ont eux-mêmes lus, aimé et apprécié. Djamel Cherigui commence par écrire « des notes, des sortes d'aphorismes ». À ses débuts, il ne se sent pas la légitimité d'écrire et de publier, ayant tendance à sacraliser les auteurs qu'il lit. Puis il se lance, durant deux ans, dans la rédaction d'un roman, dans lequel il s'inspire notamment de ses années turbulentes de jeunesse. Il dit écrire la nuit et se corriger le jour. En mars 2021, les Éditions Jean-Claude Lattès publient son premier roman, La Sainte Touche, ce nom rappelant le surnom traditionnellement donné au jour de paie dans le Nord. Son second roman Balato sort en aout 2022 :

Djamel Cherigui, " La Sainte Touche" Paris, Éditions Jean-Claude Lattès, coll. « La Grenade », mars 2021, 224 p. (ISBN 9782709667371)

Djamel Cherigui, " Balato, " Paris, Éditions Jean-Claude Lattès, coll. « La Grenade », aout 2022, 252 p. (ISBN 9782709667456)

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