2021

14 Juin - Audrey Ferraro et José Herbert à Sequedin

Aventure en terrain connu. Audrey et moi nous connaissions cet empilement de cases, de labyrinthes et de murs bétonnés, pour l’avoir fréquenté dans le passé, du bon côté de la barrière évidemment, avec nos bouquins et l’envie de faire œuvre d’humanité quelque part. Mais pourquoi la prison ?  Il existe mille et un autres lieux où notre bon cœur pourrait facilement trouver à s’exprimer. Je cherche ces motivations que je sais piégées dans le fond de mon cortex et je trouve. La fascination ! Pour une œuvre d’art, film, peinture ou monument, non ! Fascination pour ces individus qui ont commis l’irréparable, le crime dans toute son horreur, l’interdit, mais dont on sait qu’ils bénéficient de circonstances atténuantes. Ai-je dit une grossièreté ? Un jour je fus juré à la Cour d’Assises de Douai. Durant une quinzaine, j’ai eu le devoir républicain de « juger ». Moi, disposant de charentaises confortables, en somme d’une vie « normale », je ne pus qu’accorder des circonstances prétendues « atténuantes » à ces pauvres types qui baignaient depuis leur sortie du bedon maternel dans un bain d’affreuses misères.

Ceci dit, nous sommes arrivés à l’accueil de Sequedin comme un cheveu qui atterrit dans la soupe. On ne nous attendait pas. Qui êtes-vous ? Que voulez-vous ?  Ben allez-y vous savez où ! Jamais je ne serai où, Monsieur, dussé-je y retourner cent fois. Puis Madame Rey nous pilota avec sa gentillesse coutumière. Portique de sécurité, immenses couloirs, grilles géantes, cours sinistres, bruits métalliques, pose d’un boîtier de sécurité, et nous arrivons dans le local bibliothèque. Quatre détenus nous attendent, affables, souriants, masqués, comme nous l’étions. Les températures extérieures, caniculaires, ne pénètrent pas dans ces lieux aux murs inviolables, comme si elles craignaient d’y rester prisonnières. Nos quatre détenus nous écoutent poliment. Puis ils nous confieront le nom de leur région, le temps qu’il reste au compteur de Sequedin. Ils sont ici « en observation ». Ils ont demandé une libération conditionnelle. Quelques problèmes sont évoqués. Ils discutent entre eux, nous oubliant parfois. Le juge décidera de leur sort.

J’ai longtemps hésité à leur présenter un roman policier, gêné par les crimes infâmes qui l’habitaient. Parler de cadavres « sous plastique alimentaire » à des gens qui ont chopé plus de 10 ans d’enfermement est source d’hésitations. Cependant trois d’entre eux connaissaient Thilliez, Chattam, Norek, Minier, alors…au diable l’avarice. Plein pot sur le sujet : le suspense, l’incipit, les fausses pistes, les personnages, l’aspect historique marqué par les références à l’abominable Gilles de Rais, celui qui aurait, avec Francesco Prélati, assassiné des centaines d’enfants. Là j’ai énormément hésité, de nouveau. Passons à grande vitesse ! Audrey développe un sujet tout à fait différent : la mythique course cycliste Paris-Roubaix, puis le « Saint-Jacques-de-Compostelle ». Le temps passe. Trop vite ! Nos alarmes corporelles, très sensibles, sonnent. Un détenu nous renseigne. Elles doivent rester verticales.  Sympa !  

Enfin, la conversation dévie vers un thème cher à tous les pékins présents sur terre, notamment ceux qui sirotent une bière au café du commerce ou qui attendent leur tour, alignés comme des poireaux, à la boulangerie du coin : « comment refaire le monde » car, évidemment, tout va mal. Education des enfants, programmes de télévision, société de consommation, conditionnement des cerveaux. Franche et belle discussion. Qu’ont-ils donc fait ces énergumènes pour mériter la tôle ? On ne le saura jamais. Le plus jeune des quatre a une gueule d’ange aux traits empreints de timidité. Je ne peux concevoir qu’il ait fauté au point d’être là. L’un d’entre eux saisit mon polar et l’emporte, avant de nous quitter. Il a hâte de s’y plonger. Le livre d’Audrey est en bibliothèque.

Chaque intervention en prison est une aventure de laquelle on ne peut sortir indemne. L’adrénaline coule à pleins robinets. Et, en ce qui me concerne, l’amertume. Pourquoi ?

José Herbert

Aout 2021 - Sequedin

Fin août 2021, je prends la route vers Sequedin. Je vais dans cette commune proche de Lille pour rencontrer des détenus d’un quartier particulier du centre de détention : le CNE (Centre national d’évaluation). Les détenus qui y séjournent pendant 6 semaines et arrivent de toute la France. Le CNE a deux missions ; celle d’orientation et d’élaboration des projets d’exécution de peines et une mission d’évaluation pluridisciplinaire de la dangerosité de la personne.

Ce n’est ni la première fois que je participe à une telle rencontre dans un centre pénitentiaire de la région ni même que je me rende à cet endroit précis. La grande différence cette fois-ci, c’est que je suis seule. Et cela change beaucoup de choses pour moi.
Tout d’abord pour le trajet, je ne peux compter que sur le GPS de ma voiture pour me diriger, appareil indispensable connaissant les faiblesses de mon sens de l’orientation. La deuxième particularité à intervenir seule, c’est l’appréhension de pouvoir intéresser l’assemblée avec mes seuls ouvrages pendant les deux heures imparties. Je décide de présenter mes quatre livres contrairement aux autres fois où je ne présentais que le dernier sorti.

Arrivée à la maison d’arrêt, je m’annonce, on vérifie mon identité, on me demande ce que je viens faire.
- J’interviens pour une rencontre littéraire.
Petit sourire de l’agent à l’accueil.

- Vous pensez que vous allez avoir du monde ?
On me remet un badge « intervenant », ainsi que la clé d’un casier où je peux laisser tous mes effets personnels. Je passe les portiques de sécurité, tout va bien. On m’indique le chemin pour rejoindre le CNE. Les grilles sont ouvertes à distance et se referment derrière moi. Arrivée dans une salle, qui dessert plusieurs grilles (vers les parloirs, vers le CNE, vers la restauration) j’explique une nouvelle fois la raison de ma présence ce qui déclenche un grand sourire du surveillant pénitentiaire qui dit à son collègue :
« La dame vient parler littérature ». Puis s’adressant à moi, « on va venir vous chercher ».
En effet environ 10 longues minutes après, deux surveillants m’escortent jusqu’au centre national d’évaluation après avoir encore passé des grilles entre lesquelles nous devons attendre leur ouverture. Au CNE, il faut monter à l’étage par un escalier protégé par des portes sécurisées. Je me dirige vers le bureau du surveillant du premier étage qui vérifie mon nom et m’annonce 11 inscrits pour cette rencontre. Lorsque je découvre la taille de la salle d’activités, je constate qu’elle est vraiment petite pour y passer deux heures à 12 personnes surtout dans les conditions sanitaires de COVID. Nous convenons que 6 personnes pourront assister à cette rencontre. Je réalise que je n’ai pas d’alarme contrairement à mes précédentes prestations. Le surveillant pense que c’est un oubli de ses collègues de l’entrée. Je n’insiste pas, en repensant à la demi-heure qu’il m’a fallu pour arriver dans les locaux.

Une fois installée avec les 6 inscrits autour de la table, la rencontre commence. Nous sommes tous masqués.
J’explique qui je suis et comment j’ai commencé à écrire. Je présente mes livres dans l’ordre chronologique en abordant le thème de chacun des ouvrages. Très vite, les questions fusent et ce n’est plus un monologue mais des échanges. Le premier thème abordé est celui de la guerre vécue par les ivoiriens en 2011 et son traitement par les médias occidentaux. Certains des détenus nomment les protagonistes avant même que je lise un extrait du livre. Pour le second sujet qui traite de la différence de culture du pays dans lequel les personnages vont vivre plusieurs mois, nous sommes tous arrivés à la conclusion que l’être humain est le même partout. On trouve des gens accueillants, gentils, racistes, malhonnêtes dans tous les pays du monde. Difficile de donner un avis sur une personne en voyant sa couleur de peau. On parle aussi des migrants et de leurs motivations à quitter leur pays pauvre pour un eldorado qui n’existe pas au péril de leur vie. Pour le troisième sujet, il s’agit de l’anorexie mentale, je dois plus parler des anecdotes de l’histoire avant que les hommes réagissent, puis l’un d’eux me dit qu’il n’y a pas que des filles qui tombent dans cette maladie alors que sur la couverture c’est une fille qui est représentée. L’un des détenus va même jusqu’à faire une critique intéressante de la couverture du livre et proposer un projet très pertinent

de ce qu’il aurait fait. Il est dessinateur de BD. Avec le quatrième livre, et le récit de ma famille qui part à la rencontre des réfugiés « oubliés », les langues se délient. On me définit comme « autrice engagée » quand je raconte que j’ai dormi dans un camp de réfugiés ivoiriens au Ghana. J’explique que ce voyage au Ghana, m’a permis de voir la différence entre une ancienne colonie anglaise et une ancienne colonie française. Le franc CFA (la monnaie utilisée dans les pays d’Afrique francophone) est évoqué par l’un d’entre eux, rappelant qu’il est fabriqué en France. Finalement tout le monde veut connaître mon prochain projet. Je l’explique en disant que le sujet est plus anodin, plus léger alors le dessinateur de BD se propose d’envoyer à mon éditeur plusieurs projets de couverture pour ce futur roman. Je souris en expliquant que je n’en suis pas encore à la couverture. Un autre interlocuteur trouve quand même que ce nouveau sujet est encore engagé. L’illustrateur s’interroge sur ma façon de protéger mes textes. La rémunération des auteurs est aussi évoquée. Je regarde ma montre et je réalise que les deux heures sont passées très vite. Il faut conclure. On parle des bien faits de l’écriture et j’interroge mes interlocuteurs sur leurs éventuels écrits, l’un deux m’explique qu’il ne veut pas de télévision dans sa cellule. Il préfère lire et écrire mais écrire pour qui pour quoi si personne ne le lit ? Il explique qu’il a fait des études pendant ses années d’incarcération et qu’il a maintenant un master. Un autre lui répond qu’il n’a rien fait à part regarder la télé, manger et dormir, il aspire à sortir. C’est l’heure de la promenade et chacun me remercie pour cette intervention. Je laisse mon dernier livre sur la table mais tous ne pourront pas l’emprunter, ils entament la dernière semaine dans le CNE.

J’en ai presque oublié où se localisait la salle d’activité. Nous sommes dans un centre pénitentiaire ! Je quitte le CNE seule, et me retrouve dans une cour que je quitte après avoir passé la grille. Et puis, je continue, je vois une autre grille en face, je sonne, on m’ouvre et la grille se referme derrière moi, je continue avec une troisième grille, une quatrième, une cinquième...

Arrivée devant un bâtiment que je ne reconnais pas, je lis « quartier des hommes 1 ». Je suis perdue. Un homme sort du bâtiment et s’adresse à moi :
— Vous cherchez quelque chose ?
— Oui, la sortie.

— Vous n’y êtes pas, je vous raccompagne.
Nous repassons un bon nombre de grilles pour enfin retrouver la salle qui conduit aux parloirs et à la sortie.
Je me retrouve sur le parking mais avant de monter dans la voiture, je respire une bouffée d’air de Liberté !

Sylvie Bocquet