2020

Brigitte Cassette, Intervention CNE Sequedin du 19 octobre

Bien malgré moi et à ma grande déception, c’est seule que je débarquai ce lundi à la prison de Sequedin, mon accompagnatrice, l’auteure Marie-France Delporte, étant déclarée officiellement « cas contact » quelques jours avant la date de notre intervention commune.

Dans le hall du centre pénitentiaire, après les vérifications d’usage, je patiente sur un banc. Mon arrivée a été annoncée au sein du service concerné et j’attends depuis lors l’agent du SPIP qui me conduira à la bibliothèque. Durant cette poignée de minutes, j’ai le temps d’observer.

Il me semble que ce vestibule s’apparente, dans une moindre mesure certes, à un hall de gare de campagne. Un avocat entre, un autre sort ; deux agents en uniforme saluent ceux de l’accueil, un troisième, garant du portique de sécurité, contrôle un visiteur qui vient pour des réparations dans l’enceinte du bâtiment. Les laissez-passer passent de main en main, les badges sont prêtés- rendus ; les attestations témoignent du bon droit, les cartes d’identité montrent patte blanche, les casiers de fer retiennent pour un temps les téléphones, les clefs et tout autre objet indésirable dans l’enceinte de la prison.

Il existe un va et vient bien ordonné mais quasi-permanent entre l’air libre, frais et léger, qui pénètre de l’extérieur, et ce sas confiné, véritable antichambre de l’accès aux cellules dont certaines garderont leurs portes closes jusqu’à perpétuité.

Je bavarde avec deux agents qui patientent comme moi. Au bout d’un certain temps, ne voyant rien bouger, l’un deux informe l’accueil qu’il attend « l’écrivain ».

-Mais c’est moi ! dis-je en m’exclamant.

Il me dévisage avec surprise. Ainsi donc, nous nous attendions mutuellement depuis plusieurs minutes, côte à côte, sans le savoir. Eh, oui… « un écrivain » peut-être aussi une femme…

Ce petit malentendu dissipé, je suis escortée à travers un dédale de couloirs par les deux hommes en uniforme qui m’encadrent de chaque côté. Ils sont plus grands que moi. J’ai la sensation de vivre un épisode d’une série américaine dans laquelle je ne serais que la pauvre victime innocente d’une erreur judiciaire monumentale.

Les cliquetis des clefs résonnent, les grilles s’ouvrent, les ordres de passage sont donnés, le ciel bleu n’est plus visible… Me voici cette fois dans les entrailles de la prison.

Je dois assurer deux heures de face à face avec les détenus. Je décide de conserver l’heure qui me revenait à évoquer le métier d’auteur, à lire quelques extraits de mon Album de Douceurs et de mes Nouvelles à Croquer, puis à réfléchir sur la place des mots dans la création artistique et dans la société. Les échanges sont riches et cordiaux, les détenus ne sont pas indifférents, ils prennent part à la conversation avec intérêt.

En deuxième heure, je complète l’animation par un petit atelier d’écriture. Les prisonniers ont le choix entre deux thématiques : une lettre d’amour ou un texte court inspiré par une couleur. Le jaune et le vert sont tirés au sort par deux détenus grâce à des petits papiers pliés. Les deux autres choisissent, pour l’un, une lettre d’amour à l’intention de sa mère, et pour l’autre, une lettre d’amour destinée à la femme rêvée. Même derrière les barreaux, l’amour parle au cœur.

Tous travaillent avec application, la tête penchée sur le papier, trop heureux sans doute d’oser colorer leur avenir d’un soupçon de bonheur. A la fin de la séance, la lecture des textes à voix haute par chacun suscite une certaine fierté. Je la vois se refléter nettement dans leurs yeux et sur leurs visages.

J’en profite pour aborder la question des liens existant entre les détenus et leurs familles à travers les échanges de courriers. Ces échanges épistolaires sont–ils nécessaires, voire indispensables ? Bien que prévisible, la réponse affirmative est unanime. Ces lettres qu’ils attendent avec impatience, et qui leur parviennent de façon régulière ou épisodique, les prisonniers en ont besoin comme une bouffée d’oxygène, comme le souffle de la liberté extérieure qui s’infiltre par une fenêtre restée entrouverte.

Un détenu m’explique que la première année de son incarcération, il réceptionna près de 300 lettres de soutien, adressées par sa famille, ses amis, et son entourage. L’année suivante il en reçut 250, puis 200... Aujourd’hui, une dizaine d’années plus tard, il en reçoit 2 ou 3 par an…Le temps a eu raison de la camaraderie et des belles promesses. Les siens l’ont oublié, volontairement ou non, et l’ont abandonné à son sort. Il me dit que pour lui, le plus difficile est de tenir sur la durée, savoir que l’on ne compte plus pour quiconque désormais, c’est cela qui fait mal…

Marie-France DELPORTE et Audrey FERRARO à Sequedin le 6 juillet

Je songeais vaguement que le confinement rapprochait les gens « libres » et les prisonniers, c’était sans compter qu’en prison le confinement avait également réorganisé le quotidien.

Nous sommes le 6 juillet 2020, nous venons proposer un temps littéraire à la Maison d’arrêt de Sequedin ; confinés parmi les confinés, les prisonniers n’ont bénéficié d’aucune activité depuis le 17 mars. 

Notre intervention revêt pour les détenus une rare opportunité de s’offrir un temps de connexion avec l’extérieur, en dehors de la télé qui, elle, est allumée au saut du lit.

45 minutes à 60 minutes sont octroyées à chacun des deux groupes que nous rencontrerons (comprenant d’abord cinq puis deux hommes). Pour des raisons sanitaires, la bibliothèque ne peut pas recevoir tout le monde sur les deux heures prévues. Ici aussi, le coronavirus séquence, fractionne, divise… Pour les détenus, le temps de l’atelier est l’occasion de découvrir les lieux. Certains n’ont jamais mis les pieds dans la petite pièce. Les autres indiquent qu’ils disposent d’un temps restreint pour choisir un livre (dix minutes). 

Un seul participant nous dira clairement aimer lire, un autre a écrit un livre avec un collectif. Nous n’arriverons pas vraiment à en décrypter le contenu. Les détenus ont des problèmes de mémoire, des problèmes pour organiser leurs idées et pour se livrer. Face au papier, il faut parler de soi, et parler de soi c’est être face à soi. L’écriture pose problème. Nous donnons des pistes pour organiser un texte, nous parlons de nos livres et de notre pratique. On nous écoute et nous écoutons avec respect.

Un détenu nous indique s’accepter tel qu’il est et précise que les autres doivent s’adapter à sa façon d’être. Il nous parle aussi de la société de consommation, qui emprisonne davantage les hommes libres que la prison. 

Je suis perplexe. Faut-il tout écouter et laisser tout dire ? Je ne veux pas, par mon attitude, conforter les détenus dans leur posture. Je suis sur mes gardes, je suis venue dans l’objectif d’apporter ma pierre au projet de réinsertion de ces hommes, j’ai à cœur de ne pas faire l’inverse. 

On nous demande si, dans notre démarche d’auteur, nous écrivons pour nous-mêmes ou pour un lectorat. Vaste sujet. Le temps d’un instant, les confidences se font dans le petit espace privatisé dont la vue est brouillée par un triple mur de métal aux motifs différemment ajourés. Je devine, à quelques mètres, des promeneurs dans la cour, je me fais la remarque qu’on croirait visionner une version cryptée d’une célèbre chaîne payante. Je me demande comment y voir clair dans cet horizon flouté. 

Audrey est venue avec un livre sur le cyclisme. Elle s’adapte et évoque finalement à plusieurs reprises un autre livre qu’elle a écrit. Le chemin de Compostelle laisse les prisonniers rêveurs. Tous auraient choisi cette option si cette alternative à la prison leur avait été offerte, comme ce fut le cas à une époque. 

Le temps de présentation littéraire s’écarte finalement de son objet initial. Les détenus ne me semblent pas très en demande pour parler écriture ou littérature, l’un nous confie lire uniquement le programme télé. 

Difficile d’évaluer l’impact de ce temps si court sur les participants. En fin d’atelier, alors que nous nous saluons, l’un d’eux sollicite de pouvoir lire mon livre. C’est une petite victoire au regard des objectifs inhérents à notre intervention, une étape parmi de nombreuses autres sur « leur chemin de Compostelle ». 

Marie-France DELPORTE

Patrick Malfait et Guillaume Le Chevalier au CNE de Sequedin le 13 janvier

Sept personnes, entre quatre murs d'une petite bibliothèque.

Sept personnes, entre quatre barbelés d'une prison.

Sept personnes, et le temps d'un après-midi, un voyage, trop court, en France et ailleurs.

De la Picardie à la Martinique, du Nord aux Antilles.

La géopolitique, le Brexit, mais surtout le mal du pays. 

L'économie, la philosophie, mais surtout les rires et sourires.

Et lire, écrire. Pourquoi ? Pour quoi ? Pour qui ?

Lire pour s'évader. Des romans fantastiques, fantasy pour l'un.

Pour d'autres, lire pour réfléchir, se faire une idée de la vie, une idée du sens des choses. 

Et avancer. Avancer quand le temps ne le fait pas. Avancer dans l'inertie carcérale. 

Et entre les accents des îles et les sourires chaleureux, il y a des yeux humides, oscillants peut-être entre l'espoir et le désespoir. Je préfère dire : entre le désespoir et l'espoir. 

Pour avancer.

Guillaume Le Chevalier

Janine Delbecque et Hervé Leroy à Sequedin le 31 août

La mémoire partagée derrière le masque...

Le masque... Pas l’idéal pour échanger, communiquer, partager ! Mais Covid-19 oblige, tout le monde est masqué, les intervenants comme les quatre détenus présents. Le groupe a été volontairement réduit pour éviter tout foyer de contamination.

Grâce au respect des gestes barrières, la rencontre peut avoir lieu. Derrière le masque, la motivation des uns et des autres n’est pas toujours  la même. Pour l’un, c’est juste un moment de calme, de répit. Pour l’autre, c’est un immense bonheur de partager ses passions, sa pratique du cyclisme sur route et d’évoquer les sportifs célèbres, présents dans l’ouvrage « Ces Gens du Nord qui ont fait l’Histoire ». Tous, surtout les plus âgés, sont touchés par la mémoire de la Seconde Guerre Mondiale : la guerre, vue au travers les yeux des plus humbles dans « Bavincourt, un village dans l’Histoire 1939 -1945 ». 

Le plus surprenant ?  Comment, durant l’exode, certains voisins en profitèrent pour s’approprier les biens des Bavincourtois partis sur les routes. Un véritable traumatisme. Un détenu fait le parallèle avec la guerre en ex-Yougoslavie. Un autre évoque l’âme de la  culture tzigane, le violon... Ce même violon que jouait l’instituteur de Bavincourt à une époque où, à la sortie de l’Ecole normale, il fallait jouer d’un instrument !  

Quand la rencontre se termine, un détenu plus âgé s’attarde... « Moi aussi, j’aimerais raconter mon histoire dans un livre ». Derrière le masque, le temps semble suspendu. L’échange qui vient d’avoir lieu prend tout son sens. Dans ces moments de rencontre derrière les murs, il y a toujours un moment de grâce. La discussion se poursuit avec le surveillant pénitentiaire du Centre national d’évaluation (CNE) qui nous raccompagne jusqu’à l’entrée du Centre pénitentiaire. Moment plein de chaleur et d’humanité... 

Le temps de franchir les grilles, de retrouver téléphones portables et clefs laissés dans un coffre à l’accueil, et l’on se retrouve déjà à l’air libre, avec le bonheur en prime de retirer le masque.... Ce masque, ces grilles, ces murs derrières lesquels, pourtant, vient de se passer un « moment de vie toujours aussi fort, aussi prenant ». 

Janine DELBECQUE et Hervé LEROY

- Janine Delbecque : Bavincourt, un village dans l’Histoire 1939 -1945

Hervé Leroy : Ces Gens du Nord qui ont fait l’Histoire

 

Francis Campagne et Thierry Moral à Sequedin le 31 août

Le lundi 31 août 2020, je vivais ma première expérience de visite littéraire en prison.

Plus aguerri à cet exercice, Thierry Moral m’accompagnait pour ce rendez-vous. Nous avons rencontré trois détenus pendant une heure trente ; il s’agissait d’hommes effectuant à Sequedin une séquence d’évaluation en vue de libération anticipée

Je ne sais pas si cela change la donne mais on peut penser que, pour eux, l’enjeu est plus crucial que pour ceux qui effectuent la peine sans sortie proche. Bref.

Je sors de là avec l’impression de m’être jeté à l’eau sans trop mesurer qu’ici il est plus question de feedbacks que d’exposé. Certes, notre auditoire fut attentif mais il fallut compter avec sa participation plus qu’active.

On a entendu de nombreuses questions, concernant souvent la manière de sortir un livre, de l’écrire, de le publier, en évoquant les différents modes d’édition, les chausse-trappes, les pièges des propositions d’internet, etc.

On a entendu les espoirs de l’un d’eux, identifié à Booba (le rappeur), écrivant beaucoup, emballé à l’idée de régler ses comptes avec la société, la prison, ses ennemis. Il n’a pas forcément été facile de ne pas contrarier cet élan sans doute très optimiste, en expliquant quel pourrait être le chemin (de croix ?) qui mène à la parution. Surtout que celui-ci s’imaginait déjà riche et célèbre. Contraste des êtres humains. Tandis que l’un crachait son fiel, un autres lui conseillait de lire… Françoise Dolto, qu’il avait découvert durant sa détention et qui, selon lui, permettait de comprendre beaucoup de choses. De Booba à Dolto, quel bond vertigineux dans la littérature ! 

Quand j’évoquais mon roman " Destructions ", les questions demandaient des réponses prudentes sur sa part autobiographique. Terrain glissant…  

Le débat… ou plutôt devrais-je dire l’écoute a déroulé des thèmes variés sur la place de la femme en Métropole et en Guadeloupe, et sur les violences qui leur sont ici et là réservées de manière… culturelle. Fallait-il recadrer la discussion ? Peine perdue (sans jeu de mot) ? Il n’y avait pas de risque à laisser dire, le trio se régulant de lui-même, mais on serait vite tenté de se retrouver avec un costume de psy, ou de rappeler la morale et la loi.

Si j’ai eu l’impression de pouvoir expliquer l’expérience d’écrire et de produire un ouvrage, je reste avec celle d’avoir pu ouvrir un espace de parole, qui me taquinait pour que je me dévoile aussi.

Francis Campagne