2018

19 décembre, Valérie Florian et Véronique Claîre au centre pénitencier de Longuenesse

Une personne nous attend. Elle nous explique que notre intervention aura lieu à la bibliothèque où doivent nous rejoindre neuf détenus.

La salle est assez spacieuse et lumineuse, pour un peu on oublierait où l’on se trouve s’il n’y avait pas des barreaux aux fenêtres… La personne qui nous a accompagnées nous indique qu’elle restera à nos côtés tout le temps de notre intervention. Un gardien se tiendra aussi dans la salle près de la porte durant toute la séance.

Les détenus commencent à arriver un à un. Ils viennent nous serrer la main lorsqu’ils arrivent. Nous prenons place autour d’une grande table. Puis viennent les présentations : tout d’abord j’explique ce qu’est l’ADAN, enfin Valérie et moi nous nous présentons chacune notre tour. 

La séance se déroulera dans une ambiance détendue et tous participent à notre plus grande joie. Certains ont déjà lu nos livres et les questions fusent. L’un des détenus m’avouera qu’il espère que, dans le tome deux de mon roman, Camille sera une fille et non un garçon. D’autres me demandent si j’ai déjà commencé à écrire la suite et aimeraient savoir quand elle sortira. Ils me disent aussi qu’ils ont trouvé mon livre drôle voire parfois émouvant. 

Ils apprécient beaucoup également le recueil de textes poétiques de Valérie. Ils sont étonnés, et admiratifs à la fois, qu’elle puisse se livrer ainsi à travers celui-ci. Ils lui posent aussi beaucoup de questions. L’un d’entre eux lui dira qu’il apprécie tout particulièrement qu’elle n’agresse pas les hommes dans ses textes. Ils comprennent que finalement, même si nos livres sont très différents, ils abordent le même sujet : la souffrance et cela les touche particulièrement. 

On sent donc bien qu’ils ne sont pas là seulement pour échapper à leur quotidien, mais qu’ils sont aussi là mus par un réel intérêt pour la lecture. D’ailleurs, ils nous présentent fièrement le journal du centre pénitencier : « L’Échappée ». C’est eux qui choisissent et rédigent les articles me disent-ils.

En milieu de séance on nous apporte du café, petite attention qui amène une touche de convivialité supplémentaire à notre intervention. L’ambiance n’est à aucun moment pesante.                

La séance touche à sa fin, nous n’avons pas vu le temps passer…Il est l’heure de se quitter désormais, Ils nous remercient très chaleureusement : pendant deux heures ils ont oublié qu’ils étaient des détenus, l’un d’eux me dira avant de quitter la salle que mon livre lui aura permis « de s’échapper dans sa tête ». Pari réussi. 

Belle rencontre donc, où se sont croisés pudeur, souffrance, rires, humour autour de la lecture.      

Véronique Claîre

Sylvie Bocquet N'guessan et Hervé Leroy à la maison d'arrêt de Dunkerque

Le livre : un moment de liberté

Jeudi 13 décembre 2018, à l’heure du midi. Départ de l’Ecole supérieure de journalisme de Lille en compagnie de Sylvie Bocquet N’guessan.  Destination : la Maison d‘arrêt de Dunkerque. La rencontre est programmée pour 14 h dans le cadre des interventions en prison de l’ADAN. Pour tous les deux, passer derrière les barreaux n’est pas une première. A chaque fois, la rencontre est forte, riche, pleine de sens.

Mais l’intervention est aussi l’occasion pour deux auteurs de se découvrir, d’apprendre à se connaître. Les 78 kilomètres entre Lille et Dunkerque ne sont pas de trop. Le temps de se mettre d’accord sur l’intervention, sur la manière de se partager les deux heures prévues, le temps aussi que tombent certains préjugés, entretenus par certains médias, sur la Côte d’Ivoire chère au cœur de Sylvie et déjà l’immense porte de la Maison d’arrêt de Dunkerque s’ouvre. Construite en 1830, la prison se situe en plein centre-ville à deux pas de la plage de Malo. Accueillis par une jeune stagiaire en service civique, on se dirige rapidement vers la bibliothèque. Il y a pour tous les deux une certaine surprise : l’ambiance paraît peut-être moins lourde, plus « humaine », que dans certains établissements flambant neufs. Les deux livres proposés, « Le sport, à la vie, à la mort » et « Voyages croisés », sont sur la table de la bibliothèque  à la disposition des détenus. Une grande affiche annonce « une lecture ». Mais c’est plutôt d’une rencontre dont il s’agit. Nous sommes une petite dizaine. Après la réponse à quelques questions de fond – Pourquoi écrivez-vous ? – chacune, chacun, présente son ouvrage. Le choix du livre présenté par Sylvie n’est pas anodin : il s’agit du croisement de deux vies. D’un côté Agathe, lycéenne française, passe une année scolaire à Abidjan dans une famille ivoirienne. De l’autre, Mathurin, étudiant ivoirien, part compléter sa formation en France.... à l’Ecole supérieure de journalisme de Lille. Deux vies en parallèle, deux regards portés sur une culture différente. Sylvie évoque également un autre de ses ouvrages : « Le pays déchiré de mon grand-père ». Elle parle avec force, conviction, enthousiasme. Les participants ne s’y trompent. Quant au sport, il évoque pour tous de grands souvenirs. L’un des détenus est supporteur de Marseille. Il évoque avec ferveur ce club de l’OM qui unit toute la ville. Un détenu un peu plus âgé, passionné de sport automobile, se souvient de la mort d’Ayrton Senna à Imola. Il assistait également aux grandioses funérailles que Dunkerque fit en 2009 à son Petit Prince de la moto : Timoteï Potisek. Chacun des auteurs termine par un moment de lecture à haute voix. Il y a dans la bibliothèque comme du temps en suspension. Une rare qualité d’écoute.

Au moment de se quitter, tous les participants se sont promis de lire les deux ouvrages.

Il reste 78 kilomètres à effectuer pour revenir vers Lille... et partager l’émotion ressentie durant la rencontre. Ce n’est jamais tout à fait les mêmes conditions, mais à chaque fois, la rencontre derrière les barreaux est forte, riche, pleine de sens. Le livre : un moment de liberté.   

Hervé LEROY

 

Intervention du 10 décembre au CNE de Sequedin, Maurice Delbart et Jean-Louis Lafontaine

Première visite avec l’ADAN, première inquiétude mais satisfaction de se rendre un peu utile.

C’était en fait la seconde fois que je me rendais en prison. Permettez-moi d’évoquer brièvement cette expérience avec l’association des journalistes des Hauts-de-France et de montrer ainsi la différence.

«  Visiter la prison de Loos, c’est aussitôt plonger dans l’inquiétant univers carcéral. Bien que la température soit clémente, j’ai froid dans le dos …

La prison de Loos a une capacité d’accueil de 540 prisonniers. Ils sont en fait près de 1 000, soit 3 détenus dans une cellule de 9 m2. Loos compte aussi 80 prisonnières et des bébés qui restent avec leur maman jusqu’à leur neuvième mois. Ils passent leur première enfance à apprendre à marcher derrière les barreaux.

La maison d’arrêt abrite également des garçons âgés de I3 à 18 ans et un certain nombre de personnes enfermées en unité psychiatrique…

Le surpeuplement entraîne une dangereuse promiscuité. 50% des prisonniers sont toxicomanes (héroïne) et 70% « replongent »à la sortie de prison !

On se retrouve avec soulagement extra muros mais là-haut, entre les barreaux, une main de femme tend une missive restée lettre morte dans sa cellule. Elle espère que nous allons la transmettre ».

Contraste étonnant : la maison d’arrêt de Sequedin est aérée et l’on y ressent une impression de calme et de tranquillité. Certaines cours possèdent même leur alignement de rosiers. Les murs intérieurs sont peints de couleurs claires. Les gardiens plaisantent et le long parcours jusqu’à la salle qui nous a été attribuée semble rapide, bien qu’entrecoupé d’arrêts à de multiples portes fermées électriquement et surveillées par des caméras.

Avec Jean-Louis Lafontaine nous voici dans l’arène, moi un peu impressionné. Nous allons « affronter » les prisonniers. Combien seront-ils ? Ils devaient venir à six, mais trois d’entre eux ont été retenus par des entretiens de remise de peine puisque nous sommes au quartier du CNE, Centre National d’Evaluation.

L’un des détenus vient de Bapaume, l’autre de Liancourt (Oise), le troisième de Béziers ! Ils sont là pour six semaines d’entretien au cours desquels on va « scanner » leurs vies, leurs familles, évaluer leur dangerosité, leurs projets.

De ces trois auditeurs, l’un est un peu absent, le second à l’écoute, le troisième passionné, qui montre sa culture littéraire assez complète et avec qui Jean-Louis va établir de nombreux échanges. On y aborde différents auteurs. Je lis une de mes nouvelles. Jean-Louis parle de son livre d’aventures, extrapole sur le genre, le style des auteurs qui ont inspiré le sien.

L’écriture les tente-t-il ? Aucun n’en ressent la capacité.

D’abord un peu lente à démarrer, la réunion rebondit peu à peu sur des échanges divers pendant près de deux heures. Mis en confiance, les détenus parlent d’eux-mêmes, de leur vie en prison, de la justice et… de leur condamnation : I0 et I5 ans. Qu’ont-ils fait pour mériter des peines si lourdes ? Nous n’osons pas demander.

Nous les quittons avec regret sur une franche poignée de main, prêts à renouveler cette passionnante expérience.

Maurice DELBART

Intervention du 5 décembre au quartier semi-liberté de Saint-Martin les Boulogne, Brigitte Cassette et Janine Delbecque

Les lieux. Plusieurs cubes blancs, non nommés, non fléchés, absents de Google, en quelque sorte des bâtiments carrés, grillagés, neufs, rigides et froids semblent posés sur une friche périphérique ! L’intérieur ne semble guère plus habité. Pour y accéder, ce fut la galère pour nous deux. 

La caractéristique de ce quartier (ainsi nommé par l’agent de l’administration pénitentiaire) est que, créé il y a un an, il ne totalise que 12 prisonniers alors que sa structure initiale a été prévue pour abriter 50 détenus.  Il est donc en déficit d’utilisation.

L’objectif de ce centre est de préparer les personnes incarcérées au départ vers la vie active. Leur faible nombre semble surprenant, eu égard aux nombres de prisons du  Nord-Pas de Calais.

Trois détenus nous attendaient. Ces trois personnes présentent des caractéristiques communes : ancrées dans le Boulonnais. Ils avaient prévu d’être marins pêcheurs (ce fut leur formation au Lycée Professionnel). Tous trois témoignent de culture et d’envie sincère de « s’en sortir ». L’un prépare son permis de conduire, l’autre son examen de cariste, le troisième boulanger à Auchan. Tous trois aiment lire. Aussi furent-ils surpris de ne pas avoir eu le droit de prendre les livres - envoyés pour les lire, une quinzaine de jours au préalable - le soir dans leur cellule. Ordre a été donné de lire en collectivité, à la cantine ! 

Ils comprennent l’acte d’écriture, l’un d’entre eux voudrait publier ce qu’il a écrit. Tous connaissent Onfray et Houellebecq, par la télé certes, mais quand même ! Tous analysent parfaitement leur présence ici (nommée ainsi) : la vie de marins pêcheurs est devenue invivable car soit il leur faudrait travailler sur un gros cargo et partir 45 jours, ce qui signifie aucune vie familiale, soit ils peuvent travailler avec des petits pêcheurs, mais avec un salaire de misère. Alors….

Nous avons mis à profit ces deux heures passées ensemble à :

  • Présenter l’ADAN, son rôle, 
  • Développer les caractéristiques de l’objet-livre
  • Analyser les différents genres
  • Présenter nos ouvrages
  • Lire quelques extraits de nos ouvrages, alternativement.

Tous trois ont été accrochés par la tenue de la séance. Aussi, avons-nous été surprises que, dans ce lieu, il n’y ait aucune bibliothèque ! Aucun livre, aucune presse. Absence radicale de toute trace de culture. Et pourtant, les quatre personnes avec qui nous avons discuté disent que l’expérience est positive pour les prisonniers. Et, nous semble-t-il, la culture fait œuvre utile pour leur réinsertion.

Quoiqu’il en soit, cette rencontre fut chaleureuse : tous trois ont témoigné d’ouverture à la culture, la lecture et l’écriture. Notre venue nous a semblé positive à cet égard. Ce type d’intervention, même si elle n’a été vécue que par trois prisonniers sur douze, devrait s’étoffer et s’ouvrir vers d’autres perspectives, telles que participer à la création de lieux destinés à la culture quelle qu’elle soit (peinture, écriture, film…). Cela conférerait une plus grande chaleur aux lieux.

Janine Delbecque

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Intervention du 20 octobre au CNE de Sequedin avec Brigitte Cassette et Patrick Malfait

Deux heures de rencontres aussi improbables qu’inattendues … 

Détenus et intervenants nous étions tous là à attendre, prêts … à entendre, à partager et à écouter … !

« Neuf » détenus, amis réunis au sens le plus fort du terme, qu’une certaine détresse aura rassemblés … 

« Un ami aime en tout temps et dans la détresse il se révèle un frère »

Ils étaient venus, en frères, pour nous écouter « lire » … 

Et nous les avons tous entendus nous dire qu’ils voulaient vraiment « lire pour s’en sortir !» … 

Car c’est bien ainsi qu’ils nous ont fait découvert ces fameuses RPS  … les « Remises de Peines Supplémentaires » !

Trois livres à lire par an … pour en bénéficier !

Puis ils ont évoqué également ces trois séances par an vers les « chemins d’écriture » … vers ces Ateliers de lecture et d’écriture … vers ces Ateliers d’écriture de chansons !!! 

Oui …

Nous avons été au rendez-vous de véritables réflexions sur l’être, sur le « soi », sur le sens de la vie, sur l’Arbre de la Connaissance !

Alors oui vraiment …ils nous ont partagé  leur « âme » :

Se savoir compris … un véritable combat à mener sur soi ! … nous disaient-ils !

Message d’espérance et message de foi !

La prison n’éveille t-elle pas en nous, ajoutaient-ils, des qualités que nous ne soupçonnions même pas ! … 

Alors chacun se met à écrire autant pour le plaisir que pour se « libérer » !

Ainsi un Poème sur le CNE  (Centre National d’Evaluation)  …  véritable recueil de « vers amers mais sans colère »!!

Et puis enfin tous ces poèmes …

Depuis le « Ça vaut la peine ! » … mais quelle peine !…jusqu’au « Mauvais Deal ! ».

Alors dans le prolongement de ce tracé sur l’« horizon » proposé par Brigitte nous avons partagé un cœur à cœur sur « l’incontournable rencontre », … suggérée par Patrick

Puis nous nous sommes quittés, résolument marqués de part et d’autre par l’empreinte signifiée au travers de ces « neuf » poignées de mains échangées et partagées avec l’intensité de tous ces regards éclairés des bienfaits dont nous aurons tous été les heureux bénéficiaires !

Brigitte Cassette, Patrick Malfait

Intervention du 3 septembre à Sequedin avec Janine Delbecque et Thierry Moral

Auteurs : 

  • Thierry Moral a présenté son dernier ouvrage : Reconstitution
  • Janine Delbecque : Au cœur du Vieux Lille, passants d’hier et d’aujourd’hui

Présents : sept détenus, dans le cadre du CNE

Thèmes abordés en alternance :

  • L’ADAN : son rôle, sa fonction, le lien entre les auteurs et les lecteurs.
  • Ecrire, pourquoi ?
  • Processus de l’édition et de la vie des livres entre l’auteur et le lecteur.
  • Nature des deux ouvrages présentés : le thriller et le roman historique.
  • Chacun d’entre nous deux a présenté l’ouvrage dans sa globalité, puis lu un extrait. Thierry, un personnage : la tour B. Janine : d’Artagnan.

 

Ambiance :

Tous deux, nous sommes tombés d’accord sur le vécu de la séance, très émouvante et sincère.

  • Immédiatement, le lien s’est créé entre nous neuf. 
  • La parole, la convivialité, l’échange. Il n’y avait pas « les prisonniers et les écrivains ». Oserai-je dire que l’égalité s’était instaurée dans l’échange d’idées et de connaissances ? Dans la présentation de nos créations, nous le livre, eux leurscréationsmanuellesdans le cadre d’ateliers liés à leur présence. Nous avons été sensibles tous les deux à leur mise en valeur de leurs « œuvres ». J’aurais bien volontiers acheté l’une d’entre elles, mais évidemment…
  • Cette impression est vraie, aussi, en ce qui concerne nos contacts avec le personnel pénitentiaire qui nous a semblé impliqué dans ce travail, parfois peu gratifiant. Malgré l’austérité des lieux, la chaleur humaine était présente.

Janine Delbecque

Intervention du 16 juillet au CNE de Sequedin, avec Valérie Florian et Guillaume Le Chevalier

Deux auteurs très différents, mais animés par le même désir d'écouter l'autre, et de tenter de lui apporter quelque chose par la passion de l'écriture. 

Avant la rencontre avec les lecteurs, il y a eu celle de Valérie, déjà expérimentée de son expérience précédente en milieu pénitentiaire, et de Guillaume, posé, mais les cinq sens en éveil. Puis il y a eu la rencontre avec le « bâtiment » pénitentiaire, et ses gardiens, les portails, les casiers, les badges et alarmes, les pointes métalliques au-dessus des grilles, le calme apparent des couloirs aux couleurs délavées …

Enfin, la rencontre tant attendue avec les personnes, le public, les lecteurs, 

Comment dire … ? Les intéressés. Car oui, ils l'étaient, intéressés. Deux personnes, mais combien d'échanges, de partages de vie et d'expérience. 

Présentation de Valérie, puis de moi-même, présentation des deux autres personnes. Lecture d'un texte de Valérie, issu de sa première rencontre en milieu carcéral, et dans lequel ils ont reconnu ce qu'ils y vivent. Puis lecture de l'un de mes textes, l'Everest, devant un petit auditoire ô combien attentif. Les discussions fusent, parfois à quatre, parfois par groupe de deux … Les inquiétudes du retour à la vie active, avec un « trou » de quelques années dans le CV, la déception d'avoir commencé un texte, mais ne pouvant continuer, car plus d'ordinateurs, les repas plus mauvais encore qu'à l'hôpital, mais aussi le fait de vivre une vie au ralenti ? Le temps est long, très long, en prison. L'animation quotidienne, c'est l'attente du courrier, quand la vie au-dehors s'écoule à une vitesse folle, les enfants grandissant sans voir leurs pères …

D'autres sujets ont rapidement fait surface, initiés par l'expérience professionnelle de l'un des lecteurs dans les soins psychiatriques : l'autisme et ses courants, le manque de moyens

La bibliothèque, l'espace d'un après-midi, a été le lieu prétexte d'un moment d'évasion, mais aussi d'un instant de dépôt d'angoisses et d'inquiétudes, au sein d'échanges conviviaux et profonds.

Guillaume Le Chevalier

 

Intervention du 16 juillet au centre pénitentiaire d'Annoeullin avec Hervé Leroy et Bernard Tettelin

Un voyage, une rencontre...

Lundi 16 juillet 2018, entre 14 h et 16 h. Dehors, le soleil cogne dur. La salle d’activités du Centre pénitentiaire d’Annœullin est comme une oasis. Une parenthèse d’espace et de temps qui nous semble loin de la prison. Comme si les portes que nous venons de  franchir les unes après les autres ne pesaient plus de tout leur poids de fer et de barreaux.

Pour Bernard Tettelin, que je rencontre pour la première fois, c’est une grande première. Il n’est jamais intervenu en milieu pénitentiaire. Mais à chaque fois, il y a comme un moment de grâce. D’abord, chaque détenu vous salue. Le rapport est franc, cordial. Ils sont une vingtaine et tous sont reconnaissants de cette visite, de ce moment passé, de cet ailleurs qui soudain s’ouvre.

La présentation des ouvrages a été effectuée par Perrine et Justine du service Activités. Au menu : Sur le fil de l’épéede Bernard Tettelin aux éditions EdiLivre. Le synopsis : « Dominique, 22 ans, s'est dévoué corps et âme à sa famille. C'est un Quasimodo ‘’moderne’’, perdu au cours du XXIème siècle ! Il est viscéralement attaché à sa mère, Solange, veuve précoce de Damien. Il joue alors le rôle du père disparu et se consacre à ses deux frères et à sa petite sœur, et fait en sorte que ces derniers puissent grandir dans les meilleures conditions possibles. »

Pour ce qui me concerne, il s’agit d’un ouvrage publié au Papillon rouge éditeur :Le sport, à la vie, à la mort ! Le propos : « Une plongée au cœur d’histoires extraordinaires, véridiques, qui ont touché des champions victimes de leur folle passion. Ayrton Senna, Tom Simpson, Eric Tabarly, se sont brûlés les ailes à trop vouloir s’approcher du soleil. »

Chacun, à tour de rôle, présente son ouvrage. Le débat, naturellement, s’installe très vite. Bernard, ancien professeur de lettres, touche par son humanité. Les gamins en déshérence qui font tout pour s’en sortir, il connaît. Il en a rencontré beaucoup dans sa carrière.

Pour le sport et le journalisme, l’échange est parfois rude. Pas facile de mettre en brèche certaines théories du complot. « Les journalistes sont-ils vraiment libres ? »De fil en aiguille, on en arrive même à Dieudonné. « Et pourquoi, lui, est censuré ? »

Parmi les détenus, il y a un ancien boxeur. Cela permet de revenir aux valeurs et au sens du respect au travers l’un des portraits du livre : le boxeur coréen Kim Duk-Koo. Les propos du champion font consensus : « La boxe est le plus honnête des sports. Tout le monde a sa chance. On n’a jamais vu un homme à trois bras. Pour boxer, il faut deux poings, deux bras et avec ça, on fait de son mieux. » Ou encore : « Si je n’avais pas eu la chance de boxer, je serais toujours un voyou, un gamin des rues sans avenir. »

Mais il est déjà plus de 16 heures. Le temps est passé trop vite. A la demande des détenus eux-mêmes, Bernard et moi laissons nos livres à disposition du service Activités. Tous les participants se promettent de les lire avec plaisir ! Dans la discussion, un détenu plus âgé dévoile que l’une de ses premières envies en liberté  sera de se rendre à « la plus grande librairie de la région ». « Elle est à La Gorgue », confie-t-il. En réalité, il s’agit de la Bouquinerie des Flandres qui - pour bien connaître l’endroit - est une véritable caverne d’Ali Baba. J’y ai même retrouvé certains de mes ouvrages à prix soldés et défiant toute concurrence...

Les livres c’est fait pour ça : pour voyager. Bernard se dit qu’il reviendrait bien comme bénévole en milieu pénitentiaire pour partager, pour transmettre.

Ce lundi 16 juillet 2018 au Centre pénitentiaire d’Annœullin, le livre était un voyage, une belle rencontre.

Hervé LEROY

 

Intervention du 28 mai au CNE de Sequedin avec Audrey Ferraro et Vincent Carrue

Audrey et moi avons rencontré trois personnes intéressées et intéressantes. C'est en toute convivialité que nous avons échangé. D'abord sur les ouvrages que nous avions amenés, puis sur des sujets plus larges, voire philosophiques. 

Audrey a tout d'abord expliqué les contenus de ses ouvrages, puis ce fut à mon tour. J'ai d'ailleurs constaté que le fantastique et la science-fiction étaient encore méconnus du large public qui se fait une fausse idée du genre.

Ensuite nous avons discuté sur d'autres formes de littératures à la mode qui ne sont pas forcément de qualité, en avons-nous conclu. Et l'échange s'est poursuivit sur les différentes organisations nationales d'incarcération. Ce fut très enrichissant pour tout le monde ; tour à tour toutes les personnes présentes ont eu la possibilité de s'exprimer, voire se livrer. Mais ce qu'il y a à retenir de cette après-midi, c'est le rêve qu'Audrey et moi avons transmis à ces trois détenus.

Intervention du 9 avril au CNE de Sequedin avec Thierry Moral et Wendy Wagemans

Thierry

"On est tous pareils et à la fois tous différents." Cette phrase glanée au cours de cette riche et dense rencontre résume bien ce moment de partage. Wendy et moi-même sommes très différents et pourtant partageons certaines orientations. Cette orientation nous a menés dans la petite bibliothèque du CNE de Sequedin. Après avoir installé les chaises et farfouillé de nos regards curieux les étagères pour voir si nos livres n'y étaient pas, les participants sont arrivés. En deux vagues. "Ceux d’en haut arrivent..." Très vite ils se sont montrés joueurs, ce qui n'est pas pour nous déplaire, nous adorons jouer. Après avoir présenté brièvement l'association et l'objectif de cette rencontre, j'ai laissé ma comparse se présenter. "Belge ? Anglaise ? C'est quoi votre accent ?" L'intérêt et la curiosité étaient palpables.

Le temps est alors venu de se lancer. Je me suis jeté à l'eau en livrant le premier chapitre de "Reconstitution". Vu le ton de la Tour B - le personnage ouvrant le récit - l'ambiance s'est un peu refroidie, tout en restant très attentive. "C'est inventé ou imaginaire ?" J'ai eu la bonne - ou mauvaise idée - d'annoncer la couleur : "Quand je raconte une histoire, j'essaie de mentir le mieux possible." Le couperet amusé est vite tombé : "Vous êtes un mytho quoi ?" Le débat s'est ouvert vers les cités, les trafics, la violence, la manipulation... Puis nous sommes passés de l'obscurité à la lumineuse lecture de Wendy et de ses questions qui ont libéré la parole.

Wendy

Est-ce qu’un livre pour enfants a sa place dans les interventions auprès des adultes ? Mon intuition disait oui, et la rencontre à Sequedin me l’a confirmée. Le conte philosophique ‘Deux frères’ que j’ai présenté s’adresse premièrement aux enfants. Mais les questions que provoque ce récit sont de tout âge. « Faut-il faire confiance au hasard ? » « Serait-il mieux si nous naîtrions tous pareils ? » « En quoi suis-je unique ? » Autour de cette dernière question, une discussion très intéressante s’est construite, avec comme fil rouge – comme mentionnait déjà Thierry – l’idée que nous sommes tous pareils et à la fois tous différents. Un des participants soulevait le risque de se prendre pour ‘meilleur’ quand on insiste trop sur sa particularité. Tout le monde ne partageait pas cet avis… Et c’était cela justement qui selon moi faisait de cette rencontre une expérience très riche : chacun pouvait exprimer ses propres idées, dans un vrai respect de la différence de l’autre. Un autre ingrédient qui a contribué à la réussite de cette intervention est selon moi l’expérience de Thierry, qui m’avait proposé de faire une sorte de « ping-pong » entre nos deux ouvrages. Au lieu de présenter chacun notre livre pendant une heure, nous avons alterné nos prises de paroles. Très vite, il y a eu des questions de toutes sortes, auxquelles nous avons répondu chacun selon nos propres expériences. La rencontre est ainsi devenue un « ping-pong » très vivant, profond et amusant à la fois.

Pour conclure, je veux vous avouer que, grâce à cette rencontre, je suis un peu différente d’avant. La rencontre avec des personnes très différentes de moi-même, ainsi que la discussion autour de la question « Quelle est la différence entre le bonheur et la chance ? » m’a marqué et m’a fait élargir mes propres pensées. Certaines personnes arrivaient à exprimer le bonheur en un seul mot : « le soleil » ou « l’épanouissement ». D’autres avaient besoin d’un peu plus de mots : « Pour moi le bonheur, c’est d’avoir de la stabilité dans sa tête. ». « La chance, c’est les rencontres. » « Le bonheur se construit. » Je peux espérer que notre intervention a pu contribuer à sa propre façon très simple à la construction du bonheur pour chacun qui était présent. Merci à l’ADAN pour cette chance !

 

Intervention du 19 février au CNE de Sequedin avec Cyrille Ballaguy et Isabelle Mariault

8 détenus étaient présents : Marc, Suarez, Guo (chinois parlant peu français), Igor (ukrainien parlant peu français), Abdel, Jeremy, François et Michel Ange.

3 d’entre eux étaient concernés par le livre. Suarez a fait une formation en mise en page et travail sur PDF, François écrit de la poésie et Michel Ange est peintre. 6 d’entre eux sont intéressés par la psychologie et la philosophie.

Après que chacun se soit présenté, nous nous sommes présentés à notre tour Cyrille et moi en précisant notre parcours et ce qui nous avait amenés à l’écriture. Nous avions convenu au préalable, de laisser faire les choses et d’orienter la séance vers une discussion enrichissante.

À la demande de Suarez, le débat s’est de suite orienté sur les différents parcours de l’édition. Nous leur avons donc expliqué l’édition à compte d’éditeur, l’édition à compte d’auteur et l’auto-édition avec les avantages et les inconvénients de chaque possibilité. Ils ont eu des questions très précises : Combien de % du prix du livre revient à l’auteur ? Quels sont les apports du livre numérique ?...

Nous avons ensuite présenté nos ouvrages et les avons fait circuler.

La discussion s’est ensuite orientée vers la mythologie (en lien avec la spécialité de Cyrille). Jeremy est passionné par la mythologie égyptienne et les pyramides : il se demandait comment les hommes ont pu construire de tels choses, il avait lu à ce sujet des choses sur les extraterrestres. Nous avons alors abordé la question des sources. Toujours vérifier les informations qui nous parviennent, chaque auteur a aussi son propre point de vue dans ses livres qu’il ne faut pas prendre comme argent comptant. François nous explique son parcours de poète. Après avoir écrit ses poèmes, il les supprime. Il en possède encore 400 mais ne veut pas éditer car il estime que ce qu’il écrit est de l’ordre de l’intime et ne veut pas se dévoiler : “Tout ce qui est écrit, reste.” Michel Ange est peintre et aimerait trouver un écrivain avec lequel il pourrait s’associer pour commenter et éditer ses œuvres.

Nous avons ensuite évoqué entre autre, le respect, la richesse des cultures, les différentes façons d’appréhender les choses et de les comprendre selon sa culture : et si l’écriture permettait un meilleur vivre ensemble ? En effet, le sujet a été abordé car nous avions un public très cosmopolite : un brésilien, un chinois, un ukrainien, un maghrébin et un guadeloupéen. La discussion s’est ensuite orientée sur la notion d’enfermement et de la possibilité pour certains prisonniers de préférer rester enfermés par besoin de sécurité, face à un monde en manque de repères.

La séance a été très naturelle et chaleureuse, ponctuée de divers sujets de conversation à bâton rompu (sur des sujets aussi divers que la liberté, la censure, la science-fiction…) au point même que nous avons dépassé l’horaire.