2015-2016
Un partenariat s'est installé entre l'ADAN et l'administration pénitentiaire pour des interventions dans les établissements de Dunkerque, Douai et Annoeulin à partir de septembre 2011.
Depuis, d'autres établissements se sont ouverts à nos auteurs...
CNE de Sequedin, 28 novembre 2016
Nancy Guilbert et José Herbert
L'ADAN sollicite ses auteurs plusieurs fois dans l'année et je n'avais pas répondu, par peur, peut-être, sans doute. Peur de moi-même, peur de n'avoir rien à apporter, peur de ne pas trouver les mots. Par préjugé, certainement aussi. Difficile de ne pas juger ces hommes qui sont là pour des peines vraiment très lourdes. Au CNE de Lille-Sequedin, ils sont évalués pendant 6 semaines dans le cadre de l'action du SPIP.
Et puis, lorsqu'on me l'a à nouveau proposé, j'ai dit oui.
Merci à mes amies Eleanor et Sylvie pour leurs précieux conseils et leur expérience qui m'ont aidée à aborder cette entrevue avec sérénité...à voir les choses sous un autre angle aussi.
J'étais accompagnée par José Herbert, un auteur qui est déjà intervenu en milieu carcéral et qui avait pu répondre à mes questions sur le déroulement de la séance.
C'est sûr, rien ne ressemble aux interventions que je fais d'habitude dans les classes ou les bibliothèques.
Ici, il faut présenter une pièce d'identité, passer le contrôle en enlevant ses chaussures et sa ceinture, laisser son appareil photo, son portable et ses objets personnels dans un casier fermé à clé. On accède à une salle d'activités à côté de la bibliothèque après avoir franchi l'une après l'autre des portes et des grilles...un parcours interminable. On est équipés d'une alarme qui se déclenche à la moindre alerte mais, malgré cette sécurité, lorsque l'on se retrouve dans la pièce fermée à clé avec les détenus, on se demande, l'espace d'un instant, pourquoi on est venu.
J'avais choisi les albums que je voulais partager tout en me demandant comment ces hommes pourraient avoir envie de s'intéresser à des albums illustrés. Et puis grâce aux livres, le contact s'est établi : il n'est resté que l'échange, les yeux qui sourient malgré la tristesse, les questions pertinentes et timides, le grand respect, l'écoute.
J'ai présenté Un mur si haut, pages après pages.Nous avons parlé de l'enfance et du monde, de résilience et d'estime de soi, de préjugés et de tolérance, de murs entre les hommes, de liberté et de bienveillance, du Roi bleu et du Roi Blanc, d'humanité et de Wilson Bentley, de la rencontre de Cassie et de Robin dans les champs de coton, de Paul Klee et de peinture, d'écriture.
Un détenu a chuchoté :
- J'aime les valeurs que vous défendez dans vos livres. Je voudrais écrire, mais je n'ose pas.
- Pourquoi ?
- J'ai honte.
On a parlé de ce sentiment de légitimité de l'auteur ...Nul besoin d'être en prison pour en douter parfois. On a souri et on a ri aussi, l'humour est bienvenu entre ces quatre murs aux fenêtres étroitement grillagées.
Lorsque le surveillant est venu ouvrir la porte, un détenu a murmuré que le temps était passé trop vite. Je leur ai serré les mains et je suis ressortie de là les idées un peu en vrac.
Il me faudra un peu de temps pour absorber, mais je suis heureuse d'avoir relevé ce défi personnel. J'ai laissé un exemplaire de Ma liberté tout en couleurs et en repartant, j'ai croisé des oiseaux qui volaient dans le soleil couchant. C'était paisible.
Merci à l'ADAN, à Caroline et aux surveillants pénitentiaires pour leur gentillesse, leur accueil et leurs sourires.
Nancy Guilbert
Centre pénitentiaire de Longuenesse, 23 septembre 2016
Sylviane Rose et Dominique Savio
Nous fixant rendez-vous pour 13h30 – 13h40 sur le parking du centre pénitentiaire, Dominique et moi arrivons un peu près en même temps. Après avoir fait rapidement connaissance, nous nous dirigeons vers l’accueil. Dans la foulée, nous déclinons notre identité tout en déposant nos affaires sur un tapis roulant et en passant sous le portique de sécurité. Le gardien nous remet notre badge et nous ouvre une lourde porte en nous recommandant d’attendre dans la petite cour, le temps que l’on vienne nous chercher. Pour Dominique, c’est sa deuxième intervention en milieu carcéral. Pour moi, c’est une grande première et j’avoue que j’appréhende. Non pas de me retrouver face à des détenus mais parce qu’habituellement, j’interviens dans le milieu scolaire pour faire des ateliers d’écriture. Malgré cet instant de stress, je sens que ce sera une expérience enrichissante. Nous sommes accueillies avec enthousiasme par monsieur Gourdin qui nous annonce qu’aujourd’hui, un atelier imprévu de théâtre est venu s’ajouter dans leur emploi du temps. Résultat : il ne sait pas si tous les inscrits seront présents pour la rencontre d’auteurs. Dominique et moi sommes dirigées vers la bibliothèque du centre. Malgré le lieu où nous nous trouvons, l’endroit est plutôt sympathique. Plusieurs tables ont été installées. A notre montre, il n’est pas encore 14heures.
Les deux premiers détenus arrivent. Au moins, on ne sera pas venues pour rien. Ils viennent à notre rencontre pour nous serrer la main. En attendant les autres inscrits sur la liste, les 2 détenus parlent de basketball, Dominique explore les étagères chargées de livres. Je reste un peu en retrait. Normal, je n’ai pas l’habitude. Puis, les retardataires arrivent. Discrètement, je les compte. Une petite dizaine. Pas mal ! Une cafetière est posée au centre de la table, ainsi qu’un paquet de biscuits. Chacun prend place. L’atmosphère se détend. Il est 14 heures passées de quelques minutes, le bibliothécaire ouvre le débat en nous demandant de nous présenter. Ce que Dominique et moi faisons avec plaisir en présentant notre parcours. Les détenus semblent très intéressés et les questions sont nombreuses. Ils veulent manifestement tout savoir sur ce qui nous inspire, sur notre motivation à écrire, comment nous sommes devenues auteurs… Nous essayons de répondre à leurs attentes du mieux que nous pouvons. Au fil du temps, ils s’impliquent de plus en plus et certains d’entre eux nous parlent même de leurs passions. Deux d’entre eux sont des passionnés de musique : auteurs, compositeurs et interprètes. Ils aimeraient bien en vivre mais savent que c’est impossible. Malgré cela, nous les encourageons à poursuivre. Vient le moment où il faut présenter nos ouvrages et lire un court extrait. Cela semble leur plaire et la plupart nous déclarent qu’ils sont impatients de découvrir nos histoires. Le temps passe. Vite, trop vite. Entre deux gobelets de café, le débat se poursuit sur un rythme dynamique. Dominique et moi dédicaçons nos romans. 16 heures, le moment de se séparer est arrivé, à leur grande déception. Bien qu’ils aient encore une multitude de questions, l’encadrement nous fait gentiment comprendre que la bibliothèque va fermer. Alors, on se lève. Les détenus nous remercient chaleureusement de notre intervention et nous serrent la main. Tout compte fait, nous discutons encore un petit instant avant de quitter les lieux. Nous refaisons le trajet en sens inverse, redonnons notre badge au gardien qui nous rend nos cartes d’identité et portables. La porte se referme derrière nous. Sur le parking, nous regardons notre montre. Il est 16h15. Un petit topo sur cette intervention. Dominique et moi tombons d’accord. Celle-ci a été un franc succès. Puis je regagne ma voiture avec un sentiment de satisfaction. Cette expérience fut belle, enrichissante et restera un bon souvenir. Si on me demandait de renouveler cette expérience, je dirais : avec plaisir ! D’ailleurs, je recommande vivement aux auteurs qui ne l’ont pas encore tentée, de se lancer sans l’ombre d’une hésitation.
Sylviane ROSE et Dominique SAVIO
INTERVENTION AU C.N.E DE SEQUEDIN LE 10 octobre 2016
Janine Delbecque & Thierry Moral
J'arrive sur le site. Il pleut quelques gouttes. Décidément, ce lundi prend de plus en plus la couleur de l'automne, faut s'y résoudre. Je croise Janine, fidèle au poste. Pas de place sur le parking. Je me gare plus loin, puis rejoins ma camarade au pas de course sous une pluie timide. Pas de retard, ouf.
Nous entrons en détention, avec la porte galamment retenue par un intervenant. Nous donnons nos pièces d'identité, récupérons les badges, jouons aux strip-teasers pour passer sous le portail sans biper. Nous avançons, puis finissons par retrouver un surveillant jovial et volubile qui nous guide jusqu’à la bibliothèque. Nous installons les chaises, regardons les titres des livres des quelques étagères, puis les trois détenus viennent nous serrer la main, le regard franc et souriant. Le gardien nous annonce que le groupe est au complet. Ce sera donc en comité restreint. La porte est fermée, la rencontre peut commencer.
Après une présentation de l'association, nous nous présentons. Janine invite les détenus à dire quelques mots. La lecture ? « Oui, depuis le temps qu'on est là... » Ils sont trois, un jeune indien aux bras massifs, un vieil homme - qui ne fait pas son âge - à la voix grave, claire et posée et un homme sans âge au bouc finement tressé et aux yeux perçants.
Honneur aux dames. J'invite ma camarade à ouvrir le bal. Janine montre la couverture de son livre « Les errances de Louise Ermante » un récit historique, personnel et captivant. Chacun se prend au jeu à s'imaginer le temps d'avant, fin XIXème, début XXème... Qu'est-ce que c'était la pauvreté à cette époque-là ? Nous découvrons ce parcours atypique consciencieusement documenté, essayant de décrypter ça et là une lettre, de regarder en profondeur une photographie sépia. Nous parlons de la démarche d'auteur, d'historienne, du droit des femmes à cette époque...
Ma partenaire me passe le relais. J'invite les auditeurs à suivre les pas d'Alex, le anti-héros de « Sans attache ». Un agent de sécurité qui a fait une grosse bêtise, marche en pleine campagne au fin fond des Ardennes presque belges. À la tombée de la nuit, il débusque au milieu d'un massif de ronces asociales (expression qui retient l'attention de notre doyen), une caravane sans attache. Qui peut vivre là ? Comment trouver un style d'écriture, puis le creuser ?
Nous revenons sur les traces de Louise. Plongeon dans un passé pas si lointain et pourtant... Janine nous conte des anecdotes personnelles, ses rêves qui comblent les trous de la narration, son souci d'être juste dans le raccommodage de cette histoire morcelée. Son arrière-grand-mère était analphabète. Qui a donc écrit toutes ces lettres ? « On va le lire votre livre Madame. » Son regard ne ment pas. Pour sûr, il le lira.
« Et le vôtre aussi monsieur. » Je saisis la perche en lisant le second chapitre de mon roman, plus dynamique, vivant, dialogué. Je vois des sourires, des regards amusés, des hochements de têtes. Tout le monde est déjà allé dans ce genre de bistrot trônant au cœur d'un trou paumé. Chacun promet de partir un jour, mais personne ne le fait.
Janine invite Julien, notre poète et musicien aguerri au bouc finement tressé, à lire un poème. Il en dit deux, de tête, les yeux dans les yeux, ne se reprenant qu'une seule fois. « Vous pouvez retrouver mes textes sur le site ban public. » J'y suis allé le soir même sur ce site pour relire ses poèmes. Pas une fausse note. Cette rencontre était vraie, authentique, sincère, poignante mais vivifiante.
Merci aux détenus et à Janine pour ce moment de partage.
Thierry Moral
Merci à Madame Rey pour son organisation, aux agents pour leur accueil, merci à toi, Thierry, et à tous pour qu'un moment, un moment seulement, nous ayons pu partager ces deux heures en égalité par le miracle de la littérature.
Janine Delbecque
Sequedin, le 5 septembre 2016
Sylvie Bocquet, Thierry Moral
14h, Thierry et moi arrivons à la Maison d'arrêt de Sequedin. Nous sommes deux auteurs habitués des rencontres avec les détenus. Nous passons les portiques pour être accueillis avec le sourire par la conseillère pénitentiaire insertion qui nous annonce 10 inscrits pour cette rencontre. Nous passons par de nombreuses grilles, récupérons un badge de visiteur ainsi qu'une alarme, puis nous arrivons bien à l'avance dans la salle polyvalente où sont déjà installées une douzaine de chaises pour l'événement.
14h30 les détenus arrivent tous ensemble. Ils sont au nombre de 7. L'ambiance est tout de suite conviviale et nous nous présentons, puis nous parlons de nos livres respectifs. Plusieurs des personnes présentes avaient lu un ouvrage de Thierry. Les échanges ont été riches, surprenants, respectueux et même pleins d'humour.
15h 50 Il a fallu conclure. Chaque détenu nous a serré la main pour nous remercier d'être venu dans ce lieu qui n'attire pas beaucoup d'intervenants.
En quittant la prison, nous avons fait le constat d'une belle rencontre.
Sylvie Bocquet et Thierry Moral
Visite au CNE de Sequedin le 22 août 2016
Michel Danis-Soufflet, Marie-Claire George
Nous sommes intervenus, Marie-Claire George et moi-même, en présence de huit personnes ce qui démontre l'intérêt croissant du monde carcéral pour ce type de conférence selon Marie-Claire qui a une longue expérience en la matière. En ce qui me concerne c'était une première expérience en milieu carcéral.
Le contact avec les participants m'est apparu classique entre personnes qui ne se connaissent pas. J'ai observé au départ deux, voire trois visages plutôt fermés.
Marie-Claire à démarré la séance en lisant les premiers paragraphes de son livre, d'une manière douce et convaincante, ce qui a déclenché un échange fructueux de "questions-réponses".
Pour les ouvrages historiques plutôt que littéraires que je présentais, le domaine "AUTOMOBILE" a supplanté largement "l'électroménager BENDIX". Vers la fin, il s'est formé deux groupes qui discutaient à bâtons rompus et nous avions complètement oublié le lieu de cette réunion... En fin de séance, les remerciements, les sourires et les franches poignées de main ont été notre récompense... J'avais demandé que chacun donne une cotation 1 à 10, voire zéro, de l'intérêt qu'ils ont perçu des sujets abordés.
Ces notes m'apparaissent beaucoup trop élevées, je donne en exemple, ci-dessous, les quatre avec commentaires.
Michel Danis-Soufflet
« Nous sommes huit, on est tous venus ! » nous lance fièrement le premier. Lui, c’est Fernandel. Même traits, même accent, même faconde. Son verbe haut et son humour ne sont pourtant pas parvenus à étouffer la voix et les rires des autres. Y aurait-il des détenus heureux ? Avec un quotidien clos de murs, de grilles et de barbelés, avec un horizon plus gris que bleu, comment font-ils pour s’intéresser à la littérature, à la vie des autres, fût-elle celle de personnages de fiction ? Car leur intérêt n’était pas un intérêt de commande : les questions, les réflexions ont fait de ce moment bien plus qu’une récréation bienvenue. « Vos personnages, ils sont comme nous, éloignés de leur famille dont ils ne partagent plus le quotidien, dont ils ne savent plus que ce qu’on veut bien leur dire. Pour d’autres raisons sans doute, mais le résultat est le même. J’ai demandé votre livre à la bibliothèque, il n’y est plus, c’est qu’un détenu l’a tellement aimé qu’il est parti avec. Vous nous laisserez votre exemplaire ? J’ai envie de le lire mais il faut que ce soient des sentiments positifs, n’est-ce pas ! Et dans votre recueil de nouvelles, on s’y retrouve aussi : cette vieille personne poursuivie par le remords et qui en meurt. »
Michel a embrayé sur les voitures Genestin et les machines à laver Bendix dont il s’est fait l’historien. L’intérêt s’est déplacé sans se perdre et personne n’a vu le temps passer.
« Je vous écrirai dès que possible pour vous parler de votre roman, je suis sûr que je vais aimer. » Est-il meilleur au revoir ?
Marie-Claire George
Centre pénitentiaire Maubeuge-Assevent, 4 août 2016
Jean-Louis Lafontaine - Philippe Tabary
Cette séance, la première pour moi, a été très contrastée, en positif comme en négatif. En négatif d’abord, par le fait que seulement deux détenus s’y soient associés, dont aucun n’avait lu nos livres, pourtant envoyés un mois plus tôt. Ils semblaient même ne pas savoir que ces ouvrages étaient là ! En positif, l’accueil très sympathique, café à l'appui, du personnel (agent du SPIP, nouvellement en fonction, gardien du service), l’emplacement (une bibliothèque très claire, spacieuse et apparemment bien dotée).
Les détenus participants avaient l'intention, déjà pour partie concrétisée, d’écrire sur leur vie, leurs vicissitudes : l’un semblait avoir la cinquantaine et parlait plus parcimonieusement, tout en suivant attentivement les échanges, animés avec entrain par l’autre, 29 ans, et une vie marquée par les vicissitudes (alcoolisme, décès du, père, puis de la mère, suicide d'un demi-frère dont l'existence n'a été révélée qu’à la mort de la mère…). Des « brisures » selon le fort juste terme employé par le détenu.
Partant de notre expérience d’auteurs (pourquoi écrire ? comment ? quels modèles ? quel bien cela fait-il ?), les propos tournèrent autour de la manière de présenter un sujet, sur ce qui pousse vers tel ou tel thème ou genre, sur le lien entre l'auteur et le texte ou les personnages. On évoqua également le monde de l'édition, les réalités et les difficultés de la vie d’un livre, les manières de s’exprimer et d'organiser sa pensée : classement par date, par thème, faut-il des chapitres de même taille ou pas, avec un titre ou un numéro, ou les deux, la lettre à un lecteur ou à un personnage réel ou fictif, prétexte à « vider son sac». Le détenu pensait à son fils de 3 ans (dont il était sans nouvelles), sur l’écrit comme exutoire pour permettre un redémarrage, évacuer le passé.
Nous avons vécu passionnément cet échange à trois… et demi, et la séance s’est achevée dans une franche sympathie. Le jeune qui disait ne pas lire a cité plusieurs idées relevées dans des ouvrages, notamment sur des questions de santé ou de psychologie : manifestement, pour lui, ne pas lire visait les ouvrages plus littéraires. Et il semblait décidé à lire au plus vite mon ouvrage (sur les estaminets à travers l'histoire), celui de Jean-Louis étant pour sa part en emprunt.
Le SPIP nous a laissé largement déborder de l’horaire convenu puisque nous avons passé près de deux heures et demie en compagnie des détenus. Il a d’autre part l’intention de renouveler l’expérience (NDLR : les 2 intervenants aussi !), sous des formes éventuellement différentes et/ou avec plus de participants. On ne peut que le souhaiter !
Philippe Tabary
Compte-rendu d'intervention à la prison de Vendin-le-Vieil le 25 juillet 2016
Sabine Chantraine - Thierry Moral
Depuis le matin, j'appréhendais un peu le moment. Cette intervention était une première pour moi. Je n'avais pas peur, mais j'étais un peu stressée quand même. Thierry m'avait donné rendez-vous à 13h30 sur le parking du centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil afin de faire plus ample connaissance avant l'intervention. Pour lui, c’était presque une habitude. Cela me rassurait. Une de mes anciennes collègues, au courant de notre venue et intervenante auprès des détenus, nous a rejoints devant l'établissement.
Après avoir franchi la première porte en présentant une première fois nos pièces d'identité, une seconde porte se présenta à nous, puis la porte d'entrée où, après avoir déposé nos cartes une seconde fois, Madame Vincent, référente SPIP nous a accueillis avec un grand sourire. Elle nous a emmenés dans son bureau afin de nous offrir un café et faire un peu connaissance avant l'intervention. Nous y étions...
Un badge nous a été remis après le premier portique où nous avons aussi déposé nos sacs. Nous avons plaisanté pour détendre l'ambiance. Mon amie, qui me connaît depuis de nombreuses années, remarqua ma nervosité. Elle me demanda de surtout ne rien laisser paraître devant les détenus et de toujours les vouvoyer en soutenant leur regard tant que possible. Après maintes portes dans un dédale de couloirs, nous avons croisé quelques détenus qui nous ont salué avec curiosité et nous avons traversé un espace ouvert pour rejoindre la bibliothèque de la prison.
La rencontre avait lieu dans un petit espace lumineux où une table centrale nous attendait pour la prestation. L’atmosphère qui pourrait paraître froide pour le public extérieur m'a pourtant semblé détendue. Tous les gardiens que nous avons croisés sont venus nous saluer avec le sourire et les quelques détenus rencontrés aussi. C’est au sein de la bibliothèque que se tenait notre rencontre avec six détenus, des hommes de nationalités différentes... J'ai de suite remarqué la caméra qui était sur ma droite. Nous nous sommes tous salués et assis autour de la table. J'avais l'impression que chacun d'entre eux me fixait et je ne savais que faire. Heureusement, Thierry, qui avait du remarquer mon embarras, prit la parole afin de présenter l'association et de nous présenter. Avec une certaine aisance, il nous a lu un extrait de son œuvre, “Sans attache”, et les questions commencèrent : "Comment écrivez-vous ? Y mettez du vécu ? Quand écrivez-vous?"
Certains s'identifièrent au personnage, d'autres lui lancèrent des regards, certains éclatèrent de rire en plaisantant. Une ambiance amusante, comme dans une salle de classe avec des enfants, s'empara de la pièce. Je me sentais plus à l'aise et j'ai osé prendre la parole pour parler de mon roman, mais aussi de la façon de trouver un éditeur. L'un des détenus m'interrogea sur la façon de se faire éditer, l'autre sur ma façon d'écrire et un autre me fixait en souriant. Je ne comprenais malheureusement pas bien ce qu'il disait dans un mélange d'allemand et de français. Mais nous nous comprenions. Les échanges étaient chaleureux, bienveillants même, et surtout sur le ton de l'humour et de la détente. Nous étions tous complices dans nos échanges et cela faisait chaud au coeur de voir ces détenus si intéressés par notre travail et si intéressants dans leurs propos... Un véritable échange humain, empli de respect mutuel et de chaleur. J'ai véritablement pris une nouvelle leçon de vie.
Il était presque 17h lorsque nous nous sommes quittés avec bien du mal. Chacun voulait nous raconter sa propre expérience et garder un peu plus notre compagnie amicale. Nos mains se frôlèrent une dernière fois, nos regards se croisèrent encore et c'est à regret, je l'avoue, que j'ai quitté cette salle. Un dernier signe d'au revoir au bout du couloir, des "Merci" et "Revenez nous voir" nous suivirent aussi. Les portes s'enchaînèrent à nouveau devant nous et, soudain, STOP ! BLOCAGE. Entre deux lourdes grilles, nous avons été mis en attente. C'est sur le ton de l'humour que nous avons patienté quelques minutes avant de regagner la sortie.Cet agréable moment, passé au centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil avec mon binôme Thierry et les détenus, restera à jamais gravé dans mon coeur et dans ma tête. J'ai réellement adoré ce genre d'échange et même si j'ai beaucoup tremblé en sortant, cela restera pour moi une fabuleuse expérience que je réitèrerai avec un immense plaisir.
Sabine Chantraine
Compte-rendu d’intervention dans la prison de Sequedin le 27 juin 2016
Béatrice Rouer - Isabelle Mariault
Nous sommes intervenues ce jour au CNE (Centre National d’Evaluation) de la prison de Sequedin. C’est une structure récente qui a pour mission d’évaluer la dangerosité des criminels ayant écopé au minimum 10 ans de prison. Ces criminels viennent de la France entière pour une période de 6 semaines et sont en demande de probation pour une liberté conditionnelle. Nous nous sommes d’abord entretenues avec la responsable en lien avec l’Adan, qui nous a succinctement expliqué le fonctionnement.
Huit détenus étaient inscrits à la séance, seuls quatre sont venus, les autres étant occupés à d’autres activités : un bibliothécaire chilien, dont je n’ai pas retenu le prénom, Lucas qui vient de Paris et qui a un master en philosophie, Samir venu de Hyères, autodidacte passionné de science fiction, et Adriano qui vient de la région de Lyon, au cursus littéraire. Les prévenus se sont d’abord longuement présentés puis ce fut notre tour de le faire.
La conversation ne s’est pas cristallisée sur nos ouvrages mais plutôt sur les parcours de chacun, autant nous-mêmes en tant qu’écrivains que les quatre personnes en présence. Le débat a été passionné, tournant principalement sur la philosophie et la religion. Nous avons été accueillies par chacun d’eux de façon très respectueuse et chaleureuse. A aucun moment, nous ne nous sommes senties en danger, à tel point que nous avons du mal à imaginer ces personnes aussi touchantes comme des criminels. Pour chacun d’entre eux, leur temps d’emprisonnement est un temps qu’ils cherchent à mettre à profit, en lisant énormément et en étudiant. Ils sont tous les quatre en questionnement par rapport au sens de la vie et semblent avoir mis à profit leur temps d’incarcération.
Nous avons laissé nos livres à la bibliothèque de la prison. Ils semblent partants pour les lire, voire nous en faire un retour. Ils semblaient enchantés de ce moment d’échanges et l’ont même trouvé trop court. Ils attendent avec plaisir une autre date d’intervention. En tout cas, ce fut un moment inoubliable pour nous, à renouveler dès que possible.
Rapport de rencontre auteurs du 17 mai 2016 au CNE de Sequedin
Sylvie Bocquet N’guessan - Bernard Pignero
Une première intervention en milieu carcéral, ce 17 mai, peut bousculer quelques idées reçues. La maison d’arrêt de Lille Sequedin est une prison ultra moderne et l’une de ses sections, le CNE (centre national d’évaluation), où Sylvie Bocquet N’Guessan et moi sommes attendus, est le troisième en France et le plus récent des établissements en charge d’évaluer la dangerosité des détenus afin d’éviter la récidive.
Après avoir récupéré nos montres, clés ou autres objets en métal ainsi que nos chaussures déposés sur le tapis roulant du sas de contrôle, nous suivons un gardien qui nous conduit à travers cours et couloirs et de multiples grilles jusqu’aux locaux du CNE. Nous y attend une jeune femme qui est en charge de l’organisation de notre lecture mais n’y assistera pas. On nous fait entrer dans une petite salle dévolue à des activités de dessin et de peinture où, avec l’aide d’un agent, nous disposons des tables et des chaises à notre guise. Puis nous accueillons six messieurs qui nous tendent la main et s’asseyent autour de nous. On nous enferme seuls avec eux dans cette petite salle plutôt conviviale. Nous avons deux heures devant nous et la peur de ne pas savoir capter et retenir si longtemps l’attention de ces hommes qui vivent si loin de notre univers quotidien.
Le plus jeune doit avoir vingt-cinq ans, joli garçon au visage ouvert et franc. Les autres ont dépassé trente-cinq ans ; le plus âgé nous apprendra avoir fêté ses soixante ans la veille. À part ce dernier, dont le visage buriné n’inspire pas d’emblée la confiance, et un petit homme au crâne rasé à qui mes préjugés bourgeois attribueraient facilement un niveau culturel peu compatible avec la lecture de ma prose, aucun, ni par son vêtement, ni par son maintien ne se distingue a priori du commun des mortels que vous croisez dans la rue en toute indifférence. Celui qui s’est assis à ma droite me donne plutôt l’impression d’un monsieur de bonne compagnie, certainement de bonne éducation avec lequel le courant devrait passer plus facilement qu’avec le voisin de gauche de ma consœur. Je ne serais pas étonné que cet homme apathique, peut-être somnolent, assiste à cette rencontre avec un préjugé défavorable quoique résigné à l’interruption de sa sieste.
Nous nous présentons, Sylvie Bocquet N’Guessan d’abord en évoquant rapidement les liens entre son livre et sa double origine, donc sa vie personnelle, ce qui me permet, à l’inverse, de préciser que rien dans mon parcours professionnel ne me prédisposait à être écrivain sinon le fait que j’écris depuis toujours. Sylvie, en parlant de son livre, a aussitôt éveillé l’intérêt du plus jeune comme du plus âgé qui se révèleront les participants les plus actifs et les plus constructifs à l’échange qui s’établit entre nous tous. Nous lisons de courts extraits de nos livres et nous appelons nos auditeurs à réagir à ces lectures. Certains resteront muets mais les regards sont toujours en éveil et les hochements de tête tiennent lieu de commentaires. D’autres poseront des questions: pourquoi ? comment ? le rôle de l’éditeur ? la possibilité de gagner de l’argent en écrivant… Le voisin flegmatique de Sylvie demande s’il faut payer pour écrire un livre. Nous évoquons nos joies, nos peines, nos rêves et nos désillusions d’écrivains et surtout la passion qui nous anime. Rien de différent de ce que je connais en bibliothèque ou dans les interventions en milieu scolaire. Aucune agressivité à notre égard, aucune critique, aucune distance mais au contraire, l’impression d’une empathie comme s’ils avaient à cœur de nous renvoyer celle qui nous porte vers eux. En tout cas, ces hommes ne donnent jamais prise au soupçon de n’être là que pour tuer le temps et de se moquer éperdument de nos livres que la plupart ne liront jamais. Le plus âgé, l’homme patibulaire, nous surprend par ses commentaires pleins de sagesse sur la vie en cellule, sur la méditation sur leurs écarts à laquelle la réclusion les invite. Est-ce parce qu’il se suppose observé ou écouté à distance ? Rien ne nous le fait supposer, sinon a posteriori et sans doute à tort. D’ailleurs le franc parlé est de mise entre nous. La tonalité est critique vis-à-vis des médias, leur seul lien avec le monde réel et, par opposition, nous conforte dans notre rôle. Nous leur apportons du vécu réel, un vrai contact avec le monde du dehors, une relation libre autre que celles qu’ils doivent entretenir avec leurs familles ou leurs avocats. On philosophe gentiment sur la vie, sur l’évolution de la société, sur l’âge, sur le mieux et le moins bien du monde moderne. Finalement le temps passe très vite et quand les gardiens viennent nous « délivrer » c’est avec beaucoup de chaleur et de remerciements réciproques que nous serrons les mains de nos compagnons de lecture.
Le surveillant qui nous raccompagne nous explique que le CNE s’inscrit dans le cadre de l’action du SPIP (Service pénitentiaire d’insertion et de probation). Le CNE de Sequedin, reçoit toutes les six semaines un nouveau contingent de trente détenus envoyés de toutes les prisons de France. Ils y sont évalués sur leur dangerosité et donc sur la possibilité de bénéficier de permissions de sortie puis de libération conditionnelle après avoir purgé la moitié du temps de détention auquel ils sont condamnés. Le séjour à Lille de ces détenus et le rapport qui lui sera transmis, permettra au juge d’application des peines de mieux étayer la décision qu’il devra prendre en réponse à leurs demandes. Ce CNE est en charge des détenus condamnés à quinze ans et plus de réclusion. Nos « amis » ne sont donc pas sortis, sinon pour des transferts, depuis au moins sept ans. Notre accompagnateur nous précise que certains de ce groupe, peut-être parmi nos auditeurs, sont détenus depuis trente ans. Il ajoute que pour être condamné à plus de quinze ans, il faut avoir commis un viol, un meurtre ou des actes de torture et de barbarie. Parfois les trois.
Dans la voiture, Sylvie et moi convenons que nous préférons l’avoir appris après.
Bernard Pignero pour l’ADAN. Mai 2016
Intervention au CNE de Sequedin le 21 décembre 2015
Alain Bustin et Marie-Claire George
On abandonne sa carte d’identité, son smartphone et son parapluie. On pose son sac sur le tapis. On ôte ses chaussures, sa ceinture, ses clefs, les petites pièces au fond des poches. La sonnerie se déclenche quand même, sans doute par habitude : dix précautions valent mieux qu’une. Le gardien de service et son sésame. Des portes, des grilles, des herses. Entre deux, un temps d’attente, un petit stress mais pour nous, ouf ! elles s’ouvrent toutes. Après tout, rien que de la routine. Sauf qu’aujourd’hui c’est Alain Bustin qui m’accompagne et que pour lui, c’est la première fois.
Eh bien, Alain, pas trop impressionné ? Sur la forme des précautions, non car je prends très souvent l’avion et le protocole de sécurité est fort similaire alors pas de soucis. Sur le fond, c’est autre chose car ici il est question du sens profond du mot liberté…et de notre responsabilité dans cette « mission ».
Et puis ils arrivent, « nos » détenus du jour. Quatre. Seulement quatre, as-tu dit. Déçu de les voir en si petit comité ? Non bien au contraire, cela favorise le rapprochement. Et puis surtout la surprise de voir arriver quatre « Monsieur tout le monde » J’étais bien loin de l’univers du célèbre feuilleton américain Prison Break.
Nos livres ont été prétextes à des échanges intéressants. Sans doute les thèmes que nous y développons les ont-ils interpellés. Que retiens-tu surtout de ces moments passés avec eux ? Cette première rencontre me conforte surtout sur certaines de mes convictions à propos du bien et du mal, ces deux valeurs universelles de l’histoire de l’humanité. Ce mal qui est au fond de chacun de nous et que notre société ne cesse de stimuler par des images de violence qui ne font que nourrir les carences affectives, le manque d’éducation et de civisme, etc. Du mal résulte les lois, le jugement, la peine, la prison.
Pour conclure, je dirais que les moments partagés avec ces hommes renforcent mon idée qu’au-delà de l’ombre, il y a toujours la lumière et que le mot espoir est plus fort que son antonyme appréhension. Merci Messieurs pour votre écoute, ce moment de partage, cette lueur d’espoir que j’ai cru deviner au fond de vos yeux. Aujourd’hui, cet instant de vie, puisse-t-il être pour nous tous, l’espoir, le rêve de demain.
L’intérêt des détenus était cette fois encore bien palpable. Certains s’expriment, d’autres sont plus dans la réserve mais toujours attentifs. Ici, les participants avaient un bon bagage intellectuel : de la culture, une facilité d’expression qui favorise les échanges et les mène loin. Ce n’est pas toujours le cas mais au fond, qu’importe : l’essentiel est d’avoir partagé avec eux un moment « d’égal à égal », un moment d’échange vrai pendant lequel on oublie qu’au moment de se séparer, la grille se refermera sur plusieurs d’entre nous.
Marie-Claire George
Intervention au CNE du centre pénitentiaire de Lille -Loos-Sequedin, 2 novembre 2015
Janine Delbecque, Jean- Louis Lafontaine
L'accueil du personnel pénitentiaire fut très chaleureux. Madame Dolata et son équipe avaient bien préparé la séquence. 13 personnes étaient présentes dans la salle. La réunion s'est tenue en demi- cercle, de façon à favoriser les échanges. Nous avons présenté successivement à la fois nos démarches dans l'écriture et nos ouvrages
Moi-même :
- De Lettre en lettre
- Mutterland
Tous deux sont des récits épistolaires, ancrés dans l'histoire et l'histoire familiale. Cela a suscité de nombreux débats sur l'histoire des guerres et leurs propres histoires (il y avait un yougoslave ayant subi la guerre du Kosovo, un polonais dont les grands-parents s’étaient connus en déportation). Grand moment d'échange.
Jean-Louis :
- La Machine à Rêves
- Le Bâton d’Or
Ces récits fantastiques ont intéressé les auditeurs quant à la démarche liée à l'écriture, l'invention. Comment crée-t-on ? Que se passe-t-il avec les personnages ? Ecrit-on en musique ou dans le silence ?
Autre grand moment d'échange.
Le timing : 2 heures riches et denses.
Nous nous permettons de suggérer d'autres séquences, ici ou ailleurs :
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Créer une autre séquence de lecture pure de textes divers. En effet, nous nous sommes rendu compte que tout le public n'était pas forcément lettré. Par contre des récits lus les intéressaient. Passer de l'écrit à l'oral avec quelques pauses et en alternance entre deux auteurs ou comédiens ? Pourquoi pas ?
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Une personne disait être intéressée par l'écriture. Pourquoi ne pas créer une sensibilisation à la création ? J'ai personnellement regretté de ne pas avoir pu pousser la discussion avec ce jeune de 28 ans qui disait avoir tenté l'écriture.
Bilan : Ces deux heures furent riches de débats sur différentes problématiques qui leur ont permis de sortir de leur vécu. Expérience à refaire, à modifier ?
Janine Delbecque Jean-Louis Lafontaine
Compte-rendu d'intervention à la maison d'arrêt de Sequedin
Intervenants : Dominique Savio, José Herbert
Une première expérience d'une présentation d'un livre dans une maison d'arrêt qui s 'est révélée très positive .
José Herbert et moi-même avons été aimablement reçus par la conseillère d'insertion et les surveillants de l'établissement. Après les formalités administratives et les diverses traversées de couloirs, cours, portes et grilles, nous avons rencontré les détenus volontaires pour cette activité. Ils étaient sept (huit inscrits, un absent ), et nous nous sommes installés dans une salle préparée pour cette intervention. Leur accueil courtois nous a tout de suite mis à l'aise.
Nous avions convenu, José et moi, de présenter notre manuscrit chacun notre tour; mais rapidement, l'entrevue est devenue moins magistrale, plus spontanée et détendue. Questions, avis, critiques dans des échanges pertinents ont animé cette rencontre et vous auriez sincérement cru débattre autour d'un livre dans une médiathèque ou un cercle de lecture tout à fait «ordinaire» ! En ce qui me concerne, j'ai même apprécié certaines interrogations que d'autres lecteurs n'avaient pas soulevées jusqu'à présent. Mais, comme me l'a fait remarquer assez malicieusement un détenu, en prison, on ressent les choses différemment !
La discussion a continué sur des aspects plus techniques de l'écriture, les habitudes de travail, la ligne directrice et la construction d'un livre, le thème, les choix de l'auteur. Nos livres, l'un un roman-fiction, l'autre un témoignage d'une époque, ont illustré deux formes de récits qui ont été franchement et librement appréciés. L'édition et la publication ont été abordées et nous n'avons pas manqué d'en décrire les galères ! Mais l'important, c'est la passion d'écrire ! Et de lire !
Le débat s'est ensuite élargi sur l'apport du numérique, les sites E-books, la « liseuse » par rapport au livre. Une question d'éthique a également suscité des échanges très partagés : la violence, ( souvent présente dans la vie comme dans le livre) , les émotions, les sentiments ont-ils évolué avec l'espèce humaine ? Cette réflexion a débordé sans doute du cadre de notre intervention, mais elle montre une libre communication entre le groupe et les intervenants.
Nous avons tenté de répondre aux questions des détenus sur notre envie d'écrire, nos satisfactions et nos difficultés. Je souhaite que nous y avons, même partiellement, réussi. Je ne sais s'il est possible de savoir ce que le groupe en a pensé.
Dominique Savio
Intervention Vendin-le-Vieil - 08 octobre 2015
Jean-François Zimmermann/ Brigitte Cassette
-Bonjour, carte d’identité SVP.
C’est toujours de cette façon que ça démarre, c’est incontournable. C’est la rengaine des agents d’accueil dont la voix et la silhouette nous parviennent en demi-teinte, masquées par une épaisse vitre noire. Ils nous voient, nous ne les voyons pas. Nous parlons à une tierce personne invisible, face à notre propre reflet dans la baie. Le ton est donné ; ici pas de place pour la fantaisie ou les fioritures. On va à l’essentiel. Le nôtre aujourd’hui consiste à parler du livre à des détenus incarcérés pour de lourdes peines dans cette maison centrale imposante de près de 10.000m2. Ce bâtiment étant récent, (arrivée des premiers détenus en quartier 1 et 2 en mars et septembre 2015) l’accent a été porté sur la sécurité maximale mais également sur la modernité de l’ensemble. De fait la couleur fait son entrée sur les murs extérieurs ordinairement neutres. Ceux-ci se parent par endroit de bleu et de rouge, cherchant à briser la monotonie de l’uniformité. Les cellules des prisonniers bénéficient elles aussi de cette nouvelle tendance en vue de l’amélioration des conditions d’enfermement. Selon les dires de nos interlocuteurs, le mobilier comme les murs intérieurs arborent des teintes vives et gaies (orange, violet..).
Après la mise au coffre de nos téléphones portables et l’obtention de nos boitiers alarme, Karine vient à notre rencontre. Souriante et pétillante, Karine, la jeune SPIP nous accueille avec générosité. Notre intervention se déroule dans la bibliothèque dont les rayonnages encore clairsemés se rempliront au fil des mois selon les suggestions des détenus et les budgets consentis. Ils sont 6 à nous attendre. Certains confiants, tatoués et costauds, d’autres plus réservés ou indifférents. Jean-François s’élance le premier ; il se plonge dans le récit de son livre qui nous entraine à l’époque de Louis XIV, mais également dans les méthodes de recherches qu’il a dû entreprendre pour le mener à bien. Quelques-uns l’interrogent avec pertinence, se risquent à quelques remarques. Je poursuis en deuxième partie. Cette fois, mon créneau entre contes et fantaisie emporte moins de succès. Je pense que ce public a besoin davantage de faits concrets sur lesquels s’appuyer. Là n’est pas l’important ; reste les échanges circulant librement entre le groupe durant plus de deux heures. Reste pour nous le plaisir de la parenthèse offerte, de la découverte de l’autre, ainsi que le souffle de la liberté introduit brièvement dans ce monde clos.
Brigitte Cassette
De Karine en syllabes…
Deux détenus sortent du lot. Très correctement vêtus, souriant, la quarantaine affirmée, l’œil pétillant de malice, ils interviennent avec tact et à-propos lorsque j’évoque l’univers du Grand Siècle. L’un possède une licence d’Histoire et l’autre, de Droit. Et ils sont là pour « perpète », comme nous le soulignera Karine. Nulle trace sur leur visage et rien dans leur attitude ne laissent supposer un passé forcément mouvementé.
La lecture et sa part de rêve auront encore une fois accompli un miracle.
Jean-François Zimmermann
Bapaume – 24 juin 2015
Éric Descamps, Thierry Moral
Sous le soleil exactement, les murs deviendraient presque transparents
Baptême du feu pour le petit belge. Je rencontre mon binôme d’un jour, Thierry Moral, au bout des cent vingt kilomètres qui séparent ma bonne ville de Bruxelles de la région lilloise. Nous avons rendez-vous à Bapaume, trois heures d’échange de parole autour de l’écriture nous attendent. Nous faisons connaissance. Le courant passe vite entre Thierry et moi, au fil des kilomètres et de nos discussions. Homme de récits, conteur, acteur, mon coéquipier me raconte ses expériences d’interventions précédentes. Le temps de nous trouver quelques références communes (parmi lesquelles le dramaturge belge Michel de Ghelderode), nous sommes déjà face aux murs du petit centre pénitentiaire.
Nous sommes attendus dans la bibliothèque. Pas moins de dix-neuf participants nous rejoignent : hommes et femmes, tous apparemment heureux de profiter du temps à partager. Très vite, l’écriture prend sa place au centre des débats. Après tout nous sommes là pour ça : parler d’écriture avant tout. Nos récits à Thierry et à moi sont avant tout des « véhicules ». Entre présentation des ouvrages, lecture d’extraits, questions à propos du comment de la création, du pourquoi de l’écriture, du plaisir que la littérature sous toutes ses formes apporte à tous, le temps passe vite, très vite. Thierry met ses talents de conteur à contribution, les périodes de lecture et de débats s’enchainent vite. Deux heures sont passées comme dans un accélérateur de particules. La réaction en chaîne s’amorce, et la polarité s’inverse.
Les détenus nous confient leur besoin d’écrire. Leur envie. Puis ils nous confient les écrits eux-mêmes : d’abord un texte lu, puis un autre. Thierry se fait l’interprète des détenus qui ne se sentent pas l’envie de lire leur texte à haute voix. D’autres se lâchent plus aisément. On dit ce que l’on ressent, on en débat encore. On slamme, on jette les petites phrases au milieu du cercle des chaises assemblé dans la bibliothèque, un peu comme on amoncelle du petit bois. Les murs résonnent lorsqu’une détenue nous livre son texte-ressenti, mot après mot, tel qu’il lui trotte dans la tête depuis tant de temps qu’elle n’a nul besoin de lire. Les murs se taisent lorsqu’elle en termine. Puis elle ajoute : « Des comme ça, j’en ai d’autres dans ma tête. Plein. Tout plein. »
On oublie le temps qui passe et la porte s’ouvre d’un coup. L’heure est venue. Nous nous saluons. « À bientôt, j’espère », entendons-nous. On évoque l’idée d’un atelier d’écriture. Pourquoi pas ? L’idée fera peut-être son chemin. Nous sortons de la bibliothèque et reprenons notre parcours dans les couloirs. Les serrures claquent. Durant ces trois heures, enfermés dans la bibliothèque, nous avons tous été un plus libres que d’habitude.
Longuenesse, le 17 mars 2015
Janine Delbecque - Sylvie Bocquet
Globalement, notre intervention a été très positive : nos livres ont généré auprès des 9 personnes présentes beaucoup de débats à la fois sur le contenu et sur le travail d’écriture.
Ce fut un moment « hors sol », nous avons ressenti un grand besoin de lecture, d’abstraction et d’échange.
Un regret toutefois : la pauvreté de l’information apportée aux prisonniers. Le document annonçant la venue de Sylvie (pas d’évocation de mon nom, ni des titres de nos livres) était gris sale, peu motivant ni attractif. Un travail de présentation aurait attiré d’avantage de personnes.
Autant vous dire que nous sommes prêtes à recommencer.
Valenciennes - mars 2015
Victor Khagan - Marcel Lourel
Ce 10 mars à 14.00, Marcel et moi-même nous sommes retrouvés à l’entrée de la maison d’arrêt de Valenciennes. Temps clair et frais… Accueil très chaleureux et sympathique du personnel et, particulièrement, de Jessica Lanceleur (tact, gentillesse, professionnalisme).
Introduits dans la salle de bibliothèque, nous accordons nos violons et faisons connaissance en attendant les quinze personnes autorisées qui arrivent par petits groupes, ce qui nous donne le temps de saluer et d’accueillir chacun. À 14.15, début de séance, convenue avec Jessica et le responsable pour une heure de réunion. Immédiatement, trois personnes démontrent leur énorme intérêt pour l’écriture et la spiritualité, la connaissance de soi, la maîtrise des émotions ou, au contraire, leurs débordements.
Marcel et moi, nous nous présentons : qui nous sommes, ce que nous sommes, ce que nous avons fait jusque là. On nous interroge sur notre organisation dans le travail d’écrivain, sur l’impact de notre quotidien ou de notre passé sur nos écritures. La conversation s’étend sur l’histoire de certains mouvements sociaux, certaines modes ou courants créés par les époques ou par des idéologies, puis sur la violence en général, à partir des violences sociales émanant ou non de ces modes. Marcel fait un peu d’histoire : on parle des soixante-huitards, des hippies, des beatniks, etc.
Les conversations sont vraiment intéressantes et font que d’autres prévenus, jusqu’alors silencieux, se lancent et interviennent, s’expriment, se détendent. Le temps passe vite car un bon contact s’est établi. Ce n’est que notre première intervention : lorsque nous reviendrons, nous pouvons imaginer que la confiance établie nous permettra d’aller plus loin. Nous avons en effet abordé le rôle de l’inconscient, des ressorts de l’âme humaine. Visiblement, la moitié de l’auditoire accroche.
Lorsque le responsable vient rechercher les participants, les principaux intéressés trouvent qu’une heure n’était pas assez. Nous promettons de revenir. Marcel et moi échangeons nos impressions, heureux d’avoir pu créer un vrai débat, une belle évasion pour plus d’un tiers de l’assistance…
Une petite anecdote resserre notre nouvelle amitié, à Marcel et moi : sur le chemin de la sortie, nous nous retrouvons coincés dans un sas, par une histoire de serrure coincée. Cela nous donne l’occasion de faire connaissance avec deux employés de la Maison d’arrêt : humour et amitiés, mots de la fin de petit compte-rendu.
Douai , 16 janvier 2015
Sylvie Bocquet
Nous intervenions à la prison de Douai pour présenter nos derniers livres: "Requiem pour un(e) trentenaire" pour Wilfried Salomé et Voyages Croisés Lille Abidjan" pour moi. Très organisés, nous avions échangé quelques courriels et convenu de faire la route ensemble, en covoiturage. Il était prévu de se retrouver à mon domicile. Facile, Lille-Ronchin c'est 5 minutes en train. "On arriverait largement à l'heure à Douai".
Ce ne serait pas marrant si tout s'était passé comme prévu. Arrivé à la gare de Lille, Wilfried apprend que le train de 12h42 n'existe pas et qu'il doit donc se rendre directement à Douai. Quant à moi, je prends la route toute seule avec ma voiture. Après bien des contrariétés, nous arrivons pratiquement à l'heure à la maison d'arrêt de Douai, où nous sommes chaleureusement accueillis par Céline l'assistante sociale de la prison et un stagiaire après être passés à l'accueil et y avoir déposé cartes d'identité et téléphones portables. Pour arriver à la salle d'activités de la prison, il a fallu passer de nombreuses grilles, sept. On avait annoncé cinq détenus inscrits à cette activité "rencontre avec des auteurs", les cinq détenus seront présents et les organisateurs assisteront aussi à la séance.
Les quatre vingt dix minutes sont passées très vite. Le petit nombre de participants a rendu cette rencontre presque intime et ceux qui le souhaitaient ont pu s'exprimer. Chacun d'entre nous a pu passer un bon moment.La séance terminée, les discussions se sont prolongées en se saluant et en continuant un peu les échanges de façon informelle. Puis les détenus ont regagné leur cellule et nous la sortie avec Céline et son stagiaire comme guides. Ils ne nous ont pas laissés repartir sans avoir pris un thé et des petits biscuits.
Le retour, en covoiturage cette fois-ci, a été l'occasion de parler de nos livres.
Centre pénitentiaire de Maubeuge - janvier 2015
André Soleau, Jean-François Zimmermann
Nous pouvions légitimement éprouver quelques inquiétudes en poussant la grille d’entrée du centre pénitentiaire de Maubeuge. Un incendie survenu fin décembre a provoqué de gros dégâts à l’intérieur de l’établissement et entraîné l’évacuation puis le transfert des quatre cents pensionnaires. Ce n’est qu’à la mi-janvier que la prison a rouvert officiellement ses portes.
Ces conditions précaires ont forcément pesé sur l’organisation de notre intervention dans la mesure où la bibliothèque n’était accessible que la veille de notre arrivée, en même temps que la mise à disposition des livres, envoyés pourtant avec le délai habituel d’un mois. Résultat, une bonne moitié des détenus n’avait pas lu nos ouvrages et il nous a fallu insister sur le travail de l’écrivain, ses sources d’inspiration, son environnement, les difficultés à publier un manuscrit et à vivre de ce métier…
Fort heureusement, Jean-François possède d’incontestables talents de conteur. La lecture d’un passage de « l’apothicaire de la rue de Grenelle » a non seulement captivé l’auditoire, mais permis d’élargir le sujet afin de disserter sur les différentes formes d’écriture, de la nouvelle au roman, du fait divers réel à la pure fiction.
A noter l’auditoire contrasté, composé à la fois de jeunes tardant à s’exprimer pendant le débat et d’anciens visiblement cultivés, aux réflexions souvent pertinentes. Les premiers n’avaient pas encore été jugés, les autres condamnés à de lourdes peines. Ici plus qu’ailleurs, le temps fertilise les terres jugées hâtivement arides.
Bref, un rendez-vous enrichissant que nous nous sommes promis de renouveler dans de meilleures conditions, auprès de notre hôtesse du jour, Hélène Dumont.